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Marché. L’explosion a renversé la porte ; au-delà s’élève une barricade dissimulée dans l’ombre sous les nattes de roseau qui sont suspendues à travers la rue d’une maison à l’autre. La barricade est emportée, mais le colonel est atteint de deux coups de feu ; après avoir donné ses ordres pour attaquer un second obstacle qu’on entrevoit plus loin, seul, sans permettre qu’on l’accompagne, il refait lentement le chemin qu’il vient de parcourir depuis la batterie de brèche, et debout, l’épée haute, il met le général en chef et le prince au courant des péripéties du combat ; puis il ajoute : « Ceux qui ne sont pas blessés mortellement pourront se réjouir d’un aussi beau succès ; pour moi, je suis heureux d’avoir encore pu faire quelque chose pour le roi et pour la France. — Mais vous, colonel, s’écrie le duc de Nemours, vous êtes donc blessé? — Non, monseigneur, je suis mort. » Le lendemain, ce fut fait de lui.

La seconde barricade, plus forte que la première, était formée des fourgons abandonnés par la retraite de 1836; le minaret d’une mosquée située en arrière donnait à ses défenseurs le concours d’un double étage de feux. Il était difficile de l’attaquer de front; on essaya de la tourner. A gauche de la rue du Marché débouchait une autre voie du même ordre qui descendait de la kasba; celle-ci était aussi bien défendue que l’autre. Sous la direction du capitaine Boutault, les soldats du génie commencent un travail de sape à travers les murs ; on chemine ainsi de maison en maison, gagnant du terrain sur le flanc de l’ennemi, qui est débordé à son insu; enfin, on atteint une grande construction qui fait, à gauche de la brèche, le pendant de la caserne des janissaires à droite ; c’est la maison du khalifa, de Ben-Aïssa, du chef militaire de Constantine. Après une lutte intérieure aussi acharnée que celle de la caserne, on s’en empare: l’ennemi, étonné, recule; il évacue le minaret, la barricade, tout le bas des rues de la Kasba et du Marché. Une autre surprise achève de le décourager : un détachement de sapeurs, commandé par le capitaine Niel et soutenu par une compagnie du 17e léger, s’est engagé, à droite de la caserne des janissaires, dans un quartier moins préparé pour la défense; en suivant le rempart, il est parvenu à la porte El-Djabia, au-dessus de la pente qui descend rapidement au Roummel ; la porte est enfoncée, ouverte aux troupes de la troisième colonne qui s’empresse d’accourir, conduite par le général Lamy. Dix minutes après, au moment où le général Rullière, envoyé par le général Valée, arrive pour remplacer les deux chefs d’attaque successivement frappés, La Moricière et Gombe, un Maure vient à lui, à travers la fusillade, et lui présente une lettre des grands de la ville, qui, rejetant sur les Kabyles et les janissaires du bey la responsabilité