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du voisinage, une sorte de sillon qui doit être une rue. c’en est une, en effet, la rue du Marché, une des plus grandes voies de Constantine; elle a douze pieds de large. On s’y précipite; mais, des boutiques qui la bordent à droite et à gauche et dont les auvens sont rabattus, part une fusillade serrée; on ne donne pas aux Turcs qui ont fourni cette salve le loisir de recharger leurs armes ; une lutte corps à corps s’engage, baïonnette contre yatagan ; ceux qui n’ont pas pu fuir sont cloués au fond des niches. On avance : une porte solidement ferrée, sous une haute voûte, barre le passage; énergiquement poussé, un des vantaux cède; mais, par l’entre-bâillement, une grêle de balles fait au milieu des assaillans sa trouée; le capitaine Demoyen, des zouaves, se jette sur le battant, il le referme et tombe frappé à mort. Il faut faire sauter cette porte : La Moricière et le commandant Vieux, du génie, appellent les porteurs de sacs de poudre. Tandis qu’ils font effort pour passer entre les rangs pressés des zouaves, tout disparaît dans un nuage de poussière et de fumée sillonné d’éclairs; une détonation terrible fait trembler le sol et vibrer l’air assombri ; puis, plus rapidement qu’on ne saurait le dire, des explosions moins fortes se succèdent comme un feu de file. Ce n’était pas une mine, ainsi qu’on le crut d’abord. Avec leur insouciance fataliste, les Turcs avaient mis là, sous la voûte, un dépôt de poudre dans un coffre ouvert; la bourre enflammée d’un fusil était tombée dessus; puis les sacs apportés par les sapeurs, les cartouchières des soldats, autant de petits volcans qui ont fait éruption tour à tour. Quand, après cinq minutes, longues comme des heures, la lumière rentre sous cette voûte infernale, c’est pour éclairer la plus horrible des scènes. Heureux ceux qui sont morts! Une centaine d’hommes sont là gisans, se tordant, brûlés vifs par le feu qui dévore sourdement leurs vêtemens et leurs chairs: la plupart sont méconnaissables. Le commandant Vieux a péri ; La Moricière, sauvé comme par miracle, est tiré de cette fournaise, le visage et les mains noircis, tatoués par la poudre, les yeux clos, les paupières tuméfiées ; pendant quelques jours, il craindra d’être aveugle. Tandis qu’on l’emporte, il appelle ses zouaves : « Où est Demoyen? Voilà un soldat! voilà un brave! A-t-on pu le sauver? »

Quand le général en chef et le duc de Nemours ont vu disparaître, de l’autre côté de la brèche, les derniers rangs de la première colonne, ils ont fait marcher la seconde, mais par groupes successifs, afin d’éviter l’encombrement. Avec le peloton de tête, le colonel Combe vient d’arriver, au moment de la catastrophe, tout prêt à relever le bâton de commandement échappé des mains de La Moricière. Il fait reprendre l’attaque par la rue du