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de faire la paix que de faire la guerre, car, en faisant la paix, je répondrais au reproche que l’on m’adresse d’ardeur exagérée, et je montrerais que je savais au besoin me modérer et me contenir.

« Cette discussion, qui dura cinq heures, finit par faire assez d’impression sur le roi pour qu’il la terminât en me disant qu’il me nommait général en chef de l’expédition ; les ministres qui étaient présens adhérèrent à ce choix, en disant que, du moment où le roi avait décidé une semblable question, ils n’avaient plus rien à dire. Le conseil désigna alors le maréchal Gérard pour venir prendre le commandement du camp de Compiègne, les généraux Valée et Fleury et le sous-intendant d’Arnaud pour diriger les trois services[1] pendant le siège, et il fut réglé que vous choisiriez le poste, le titre et les fonctions qui vous paraîtraient le plus convenables pour vous. j’avoue que j’avais pensé pour vous à la position de chef d’état-major général comme étant celle où vous seriez le plus en relief. — Le conseil se termina à minuit, en décidant que ma nomination ne serait pas au Moniteur jusqu’à ce que j’eusse vu mon frère Nemours, parce que j’avais promis à toute ma famille, qui était fort contraire à mon voyage en Afrique, d’éviter tout ce qui pourrait blesser mon frère, que le roi avait en quelque sorte condamné sans l’entendre, puisqu’il était resté à Compiègne pendant cette journée. — Hier matin, j’allai au ministère de la guerre avec le général Valée, et nous fîmes donner divers ordres qui, en tout cas, ne seront pas perdus pour le bien de l’expédition, entre autres l’accélération du départ de quatre bataillons de sept cent cinquante hommes chaque des 12e et 26e de ligne, l’achat immédiat de cent mulets et cent chevaux de trait de plus, et leur embarquement instantané, et enfin cinq cents quintaux de biscuit marin de plus, avec l’armement de la frégate l’Armide. — Je repartis pour Compiègne, annonçant mon retour pour le surlendemain, après avoir fait mes adieux au camp et comptant m’embarquer, le 9, à Toulon. Jamais je ne m’étais senti plus content de mon avenir, ni plus joyeux d’avoir à faire. »

Avant de poursuivre la citation de cette lettre qui, sans compter l’admirable état d’âme qu’elle révèle, est un document historique du premier ordre, il importe de dire que le duc de Nemours ne réclamait pas avec moins de chaleur, comme un droit et comme un devoir, le privilège de prendre à l’expédition vengeresse la part qu’il avait prise à l’expédition qu’on allait venger. Cependant, la raison d’état ne permettait pas que l’héritier du trône et son puîné fissent en même temps la campagne. Entre ces deux frères, inspirés l’un et l’autre par un noble et généreux sentiment, cette rivalité

  1. De l’artillerie, du génie et de l’administration.