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faudrait quatre-vingts par mille hommes ; ils porteraient dix mille rations ; les soldats auraient dans de petits sacs une réserve de quatre jours ; ce serait donc quatorze jours de vivres, ce qui est très suffisant pour les campagnes que l’on peut faire dans ce pays, car elles doivent être de courte durée, si l’on ne veut pas perdre tous ses soldats. Si l’on veut continuer l’occupation de l’Afrique, il faut prendre les moyens nécessaires pour réussir, et ce sera faire économie d’hommes et d’argent. Ce sont les demi-moyens qui ruinent. Il faut être forts ou s’en aller. Surtout il faut n’envoyer que des soldats robustes, car tous les faibles périssent, et que ces soldats soient commandés par des officiers jeunes et énergiques. Les régimens qui sont depuis deux ou trois ans dans ce pays commencent à être bons, mais aussi leur effectif est bien réduit : le 17e léger en est là ; entré il y a sept mois en Afrique avec seize cents hommes, il n’en a pas neuf cents dans le rang, mais ces neuf cents sont bons. Les trois beaux régimens que j’ai amenés deviendront bons aussi, mais ce ne sera qu’après avoir perdu deux ou trois cents hommes faibles au physique et au moral. Il faut convenir que l’apprentissage coûte un peu cher. »

Après avoir donné à ses troupes deux jours de repos, le général Bugeaud se remit en campagne, le 19 juin. Sa colonne, accrue de huit cents chevaux des chasseurs d’Afrique et des auxiliaires, escortait un grand convoi de ravitaillement pour Tlemcen, un troupeau de bœufs, cinq cents chameaux et trois cents mulets, chargés de munitions et de livres. Il n’y eut d’engagement sérieux que le 24, entre l’Amighier et le Safsaf; ce jour-là l’émir attaqua franchement la colonne. Ce fut une belle rencontre de cavalerie ; les chasseurs d’Afrique chargèrent d’abord, puis Moustafa « qui, selon son habitude, dit dans son rapport le général Bugeaud, chassait le sanglier avec ses Douair, est arrivé fort à propos sur le flanc de l’ennemi, pendant que nous le poussions de front. La déroute alors a été complète. » Après ce combat, le capitaine Cavaignac, le bey de Tlemcen Moustafa-ben-el-Moukalled, les chefs des hadar et des juifs tinrent sur le Safsaf au-devant du général. Depuis quatre mois que le capitaine Cavaignac tenait dans le Méchouar, il n’avait pas été sérieusement attaqué, mais la garnison et les habitans de la ville avaient beaucoup souffert du blocus établi autour d’eux par Abd-el-Kader ; il avait fait venir dans la campagne environnante jusqu’à cent vingt mille têtes de bétail qui avaient dévoré toutes les récoltes. Mais si, dans la garnison du Méchouar, les corps étaient amaigris et les visages hâves, il y avait, dans les âmes soutenues par la fermeté stoïque du capitaine Cavaignac, une énergie militaire qui faisait contraste avec certaines défaillances dont la colonne amenée par le général Bugeaud avait donné de fâcheux témoignages. « Nos affaires.