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analogie avec ce qui s’est passé à Paris, il y a deux ans, à l’occasion de nos affaires du Tonkin. Un ministère français y a péri, frappé à mort par une balle égarée de Langson, arrivée à Paris sous la forme d’une dépêche malencontreuse ; le ministère de Rome vient d’avoir son Langson, et est tombé presque dans les mêmes conditions, victime des expéditions lointaines. Comment tout cela s’est-il passé à Rome ?

L’Italie, on le sait, a fait comme d’autres son rêve de politique coloniale. Elle est allée, il y a quelques années, camper à Massouah dans la Mer-Rouge, et, une fois maîtresse de ce point du littoral, elle s’est hâtée naturellement d’étendre, pour sa sûreté, son rayon d’occupation, en établissant quelques forts avancés à dix ou douze heures de marche de Massouah. C’était une précaution militaire toute simple. Malheureusement, les Italiens se trouvaient dès lors en contact avec un monde peu connu, avec l’Abyssinie, dont le souverain, le négus ou roi Jean, est un prince ombrageux qui avait peut-être lui-même des vues sur Massouah et qui ne pouvait voir sans jalousie une occupation étrangère. Les relations, cependant, semblaient être restées d’abord assez pacifiques. Une mission composée du comte Salimbeni et de quelques-uns de ses compatriotes avait pu même, disait-on, pénétrer en Abyssinie, et dernièrement encore, ayant à répondre à des craintes manifestées dans le parlement, le ministre des affaires étrangères, le comte de Robilant, avait parlé assez dédaigneusement des quelques brigands que les soldats italiens pouvaient avoir tout au plus à repousser. On en était là, lorsque le commandant des troupes d’occupation à Massouah, le général Gêné, a appris, par une espèce de sommation, que le comte Salimbeni et ses compagnons étaient captifs et peut-être en péril de mort, que des forces abyssiniennes considérables s’avançaient aux ordres d’un lieutenant du négus, Ras-Alula. Ces forces avaient attaqué un des postes italiens avancés, le fort de Saati et avaient été repoussées ; le lendemain, elles avaient pris leur revanche. Quelques compagnies italiennes, surprises en marche par les soldats de Ras-AluIa, avaient été taillées en pièces et massacrées. Bref, cinq ou six cents hommes avaient péri ! Ces nouvelles, tombant brusquement à Rome, y ont excité une émotion extraordinaire assurément justifiée et par la mort de tant de braves gens et par l’insulte faite au drapeau italien. Le ministère s’est hâté de demander un crédit de 5 millions pour envoyer des forces nouvelles à Massouah. Le crédit, bien entendu, n’a point été refusé ; mars, dès le premier moment, il y a eu dans la chambre un sentiment visible de malaise ou de défiance ; on a commencé à récriminer contre l’imprévoyance des ministres ; on s’est souvenu des paroles un peu légères prononcées il y a quelques jours à peine par M. de Robilant, et nombre de députés, en votant sans marchander le crédit de 5 millions, ont tenu à réserver leur opinion sur la politique du gouvernement. Le chef du cabinet, M. Depretis, a énergiquement insisté pour