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qu’il est, par une chance extraordinaire, un ministre des beaux-arts en état de citer Aristophane : puisse-t-il écouter ces vœux !

Si ce « théâtre d’application » eût existé, c’est là sans doute que M. Claretie eût remonté, pour les curieux, la petite « comédie épisodique » de Poinsinet, le Cercle ou la Soirée à la mode. Cette pièce dénuée d’intrigue est un joli tableau : au léger monument, comme dirait Moreau le Jeune, du costume physique et moral de la (in du XVIIIe siècle. Pour le physique, oui justement, c’est un Moreau le Jeune que Mlle Pierson, sous le nom d’Araminte, nous représente avec grâce et magnificence; ou peut-être un Augustin de Saint-Aubin. Pour le moral, il paraît bien que cet opuscule, daté de 1764, conserve à la postérité l’humeur et le langage des salons de l’époque. Plusieurs contemporains, naturellement, nous ont averti de nous en défier. D’après Bachaumont. Mlle de Rochefort se serait écriée, non sans justice : « L’auteur n’a vu le monde qu’à la porte. » Palissot, faisant le renchéri, déclare qu’un homme qui parlerait à une femme aussi librement que ce médecin à cette jeune fille : « Bonjour, ma belle poulette! » serait jeté dehors comme un goujat. Ainsi protestaient les hérauts du bel air, cent vingt-trois ans avant Francillon. Mais Grimm, dont le témoignage est acceptable, écrivait avec bonhomie : « c’est un tableau assez frappant des sociétés de Paris. Le ton de tous ces gens-là n’est pas trop mauvais, et c’est le principal mérite des pièces de ce genre[1]. » En 1887, le public de la Comédie-Française, peu familier avec Poinsinet, attendait sans doute un autre mérite ; jusqu’à la fin, il s’est tenu sur la réserve; à la fin, il a paru désappointé. Il s’est récréé, ensuite, aux faciles quiproquos de l’Anglais ou le Fou raisonnable, un vaudeville de Patrat, emprunté au répertoire courant de l’Odéon. M. Coquelin cadet, ou plutôt Coquelin tout court, notre seul Coquelin, y est excellent : c’est un petit-fils du fossoyeur d’Hamlet, habillé en gentleman par Boilly.

Pour achever la galerie, je signalerai encore un tableau, — Encore une « comédie épisodique : » elle est datée d’hier, celle-ci; qu’on la représente demain, elle sera plus applaudie que celle de Poinsinet. De 1 h. à 3 h., — ou la consultation d’un médecin à la mode, — C’est le dernier petit ouvrage de M. Abraham Dreyfus. Il n’a pas seulement sur la Soirée à la mode l’avantage d’être plus récent, il a celui d’être une pièce. Et, de même, toutes les précédentes saynètes de M. Dreyfus, toutes celles qu’il donne modestement, réunies en un volume[2], pour des « comédies de société, » ont sur la plupart des œuvres ainsi qualifiées cet avantage, que, pouvant se jouer « en société, » elles sont pourtant des comédies.


LOUIS GANDERAX.

  1. Cité par M. Auguste Vitu, dans une étude sur Poinsinet qui précède le Cercle, nouvelle édition ; Ollendorff.
  2. Jouons la comédie; Calmann Lévy.