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pour ne pas mieux commander aux événemens. Le relâchement du lien fédéral entre les états et dans chaque état l’organisation d’un régime libre s’imposeront. Le résultat de la guerre sera de remettre l’autorité sur l’armée et sur la politique aux mains des assemblées, c’est-à-dire d’accomplir les deux changemens que M. de Bismarck a toujours signalés comme la ruine de l’empire.

Cette ruine sera conjurée, il est vrai, si la guerre ne réserve aux armes françaises que de nouvelles capitulations. Alors, ce qui semblait impossible sera réalisé, le chancelier semblera plus grand encore. Quel sera pour l’Allemagne le résultat immédiat de la lutte ?

Le chancelier se servira de la force conquise au dehors pour arrêter d’une façon définitive les ennemis du dedans. Et l’ennemi, ce sera le pays lui-même. Des mesures seront prises pour soustraire aux curiosités indiscrètes des parlemens la politique de l’empire. Plus que jamais, tous les droits de la nation seront reconnus à l’empereur et exercés par le chancelier, c’est-à-dire qu’un souverain de quatre-vingt-dix ans et un ministre de soixante-douze consacreront le dernier effort de leur volonté victorieuse à établir au nom de leur génie le pouvoir personnel, et le legs suprême de ce génie prépare un pays vide d’ennemis au dehors, vide d’institutions au dedans.

Telles sont pour l’Allemagne les périls de la guerre. Malheureuse, elle menace son unité ; incertaine, son gouvernement ; et glorieuse, ses libertés.


IV.

Mais l’Allemagne et la France ne sont pas seules : l’Europe existe encore. Toute querelle entre deux peuples est un procès dont l’Europe est juge.

Aux époques respectueuses du droit, l’Europe examine si le conflit est juste : à toutes les époques, elle se demande s’il est contraire à ses intérêts. Et qu’elle l’estime inique ou dangereux, elle a deux moyens de se défendre. Elle peut maintenir la paix en se déclarant d’avance contre quiconque tenterait une agression : aucun peuple n’est assez fort pour braver la force de tous les autres. Elle peut, si elle a permis que la guerre éclate, en surveiller la marche et en limiter les conséquences : un jour vient où les belligérans, épuisés par la lutte, doivent accepter sa médiation, et sa volonté plus que la leur s’inscrit dans les traités.

L’intérêt permanent de l’Europe est qu’il ne se forme pas de trop grande puissance. La France l’a éprouvé en 1870 : c’est la jalousie