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au dehors, est-ce en Allemagne ou en France qu’un grave conflit a surgi entre la couronne et la représentation nationale ? Est-ce en Allemagne ou en France que le pouvoir exécutif, si les électeurs persistent à soutenir leurs élus, est acculé à une capitulation ou à la nécessité de demander à la victoire un sacre nouveau ? Et si enfin la prépondérance d’une volonté maîtresse de l’armée et suspecte d’ambition est une menace pour la paix, est-ce de France ou d’Allemagne que cette impérieuse volonté se fait entendre ? Est-ce en Allemagne qu’une guerre déclarée sans le concours du pays par un ministre serait le crime d’un factieux ; est-ce en France que le même acte est l’exercice légitime d’un droit reconnu à un empereur par la constitution ?

Aussi, bien que le chancelier de l’empire ait promis de ne pas attaquer la France et que la France n’ait pas parlé, personne en Europe ne se demande si la France veut la guerre, tout le monde se demande si l’Allemagne veut la paix. Et le jour où la paix serait troublée, le verdict du monde entier serait unanime. Il dirait sur qui pèse toute la responsabilité des malheurs déchaînés. L’Allemagne de 1887 lui rappellerait la Prusse de 1866. Il se souviendrait qu’alors la Prusse, ayant réorganisé l’armée, accru les effectifs, transformé l’armement, et seule en possession du fusil à aiguille, se sentit tout à coup émue des menées de l’Autriche contre la paix ; qu’elle dénonça les préparatifs de cette puissance, tout le temps nécessaire à achever les siens ; qu’enfin, pour échapper à un péril devenu intolérable, elle se précipita sur un ennemi encore occupé à rassembler ses troupes, et, contrainte de remporter la victoire due aux causes justes, se réjouit par-dessus tout de n’avoir pas eu la responsabilité de l’agression.


III.

Une chose pourtant dans le conflit serait nouvelle : la cruauté de la lutte. M. de Bismarck l’a prévu quand il déclarait, comparées à celles-là, les précédentes guerres jeux d’enfans. Il n’a pas moins nettement dit à la France l’avenir qui la menace : la chrétienne Allemagne de 1870 et sa douceur ne se retrouveront plus.

Nous pouvons mesurer, en effet, au sort que nous fit alors sa générosité le sort que nous réserverait sa colère. Mais aussi l’Allemagne devrait s’attendre à une résistance comme elle n’en a pas rencontré encore. La France non plus n’est pas celle de 1870, qui, sans haine et sans troupes, se laissa entraîner à la guerre. Nous nous sommes instruits à la meilleure école, celle de nos vainqueurs. Les armes ne nous manquent plus ni les hommes : tous ont été formés par de bonnes lois que