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rien au-delà. Certes elle se sentit déchirée en perdant ses provinces, elle mêla peut-être à son deuil la consolation lointaine qu’elles n’étaient pas à jamais perdues : quel peuple renonce à l’espérance ? Le traité de Francfort lui-même ne nous y obligeait pas. Mais quand la France avoua ses desseins en constituant son armée, rien, dans les mesures proposées, résolues, exécutées, ne révéla la pensée d’une agression contre l’Allemagne. En adoptant le service universel, à l’exemple de son vainqueur, elle fixait à ce service une durée moindre; et comme sa population, déjà plus restreinte, croissait moins vite, elle renonçait à l’égalité du nombre. Elle renouvelait son armement livré par les capitulations des armées et des villes, et demeuré dans les arsenaux du vainqueur. Enfin, l’œuvre qui absorba la plus grande partie des dépenses et se poursuivit avec la sollicitude la plus passionnée fut la fortification de la nouvelle frontière. Inutile si la France eût préparé une guerre offensive, cet immense ouvrage avait tracé sur le sol la pensée de la nation entière : elle prévoyait qu’elle pouvait être envahie de nouveau et entendait suppléer à l’infériorité du nombre par la force des positions.

Ne pas attaquer, se défendre, tel se formula pour tous le devoir de l’avenir, même aux jours où le patriotisme pariait le plus haut, lorsque le pays inaccoutumé à l’amertume de la déchéance et de l’occupation, le parlement peuplé de nos généraux, le pouvoir confié à des hommes soucieux de la grandeur nationale, avec une anxiété, puis avec une joie communes, préparaient la réforme de l’armée et saluaient sa puissance renaissante.

Mais, dans une république, les plus permanens des intérêts sont confiés à des pouvoirs temporaires, soumis à l’opinion, et l’opinion se lasse vite d’un unique amour. Dès que notre état défensif lui parut assuré, elle considéra sa tâche comme accomplie, et, ses frontières closes, s’occupa des affaires intérieures. Ce fut une seconde période où les ardeurs du pays se dépensèrent à établir une forme de gouvernement. Les intérêts militaires ne tombèrent pas en dédain, mais en silence, et, dans le silence, il y a un commencement d’oubli. D’ailleurs, il était sans péril. Nul ne songeait à porter la main sur l’œuvre accomplie, et, au milieu des violences politiques, le maréchal de Mac-Mahon qui, au pouvoir, fut un soldat, et Gambetta qui aimait l’armée, couvrirent notre réorganisation de leur compétence et de leur popularité.

Quand ce dernier disparut, le gouvernement était fondé, la réforme militaire conduite à terme.

Le jour où les intérêts publics semblent assurés, le grand péril commence pour les démocraties. Les anxiétés qui font la clairvoyance du peuple s’apaisent et ne lui désignent plus les hommes les plus capables de le servir : les politiciens apparaissent, qui, n’étant pas contenus