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portent la mention : Veuve de Lavoisier, injustement condamné. Il lui fut permis de toucher ses revenus, et le premier usage qu’en fit cette âme généreuse fut de récompenser par des dons de terres les serviteurs qui l’avaient suivie et soutenue dans la mauvaise fortune, et de témoigner sa gratitude à Morellet, l’auteur du Cri des familles, en lui portant deux rouleaux de 50 louis. Ce ne fut pas un élan passager de reconnaissance ; en 1816, elle faisait encore une pension à Morellet. Quant à la liquidation de la ferme générale, elle fut confiée à une nouvelle commission de comptabilité et traîna encore plusieurs mois ; les séquestres furent d’abord convertis en une simple hypothèque, qui fut définitivement levée en 1806. Un arrêt du conseil d’état établit que les fermiers-généraux, loin de devoir 130 millions à la nation, étaient ses créanciers pour une somme de 8 millions ; aucun de leurs héritiers ne réclama sa part.

Si les honneurs funèbres avaient manqué à Lavoisier, sa mémoire restait fidèlement conservée au sein de ce Lycée des arts qui avait eu le courage de le couronner l’avant-veille de sa mort, dans les cachots de la Conciergerie. À peine Dupin fut-il emprisonné, à peine l’opinion commença-t-elle à juger plus favorablement les fermiers-généraux, que le Lycée des arts pensa à célébrer la mémoire de ses plus illustres membres. Dans la séance du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795), Lagrange prononça l’éloge de Lavoisier, et celui du chirurgien Desault. Après la lecture, deux obélisques s’élevèrent de chaque côté du bureau ; l’un d’eux portait le buste de Lavoisier avec ce quatrain médiocre :


Victime de la tyrannie,
Ami des arts tant respecté,
Il vit toujours par le génie
Et sert encore l’humanité.


Cet hommage ne parut pas suffisant au Lycée des arts ; huit mois après, le 15 thermidor (12 août 1796), il célébrait avec éclat une pompe funèbre en l’honneur de Lavoisier. L’annuaire du lycée, pour l’an VI, nous a transmis un récit détaillé de cette cérémonie, dont la mise en scène théâtrale choque notre amour de la simplicité, mais qui était bien dans le goût de l’époque.

La porte d’entrée du lycée[1] semblait donner accès à un vaste souterrain ; au frontispice, l’inscription : A l’immortel Lavoisier. Dans les premiers salons étaient figurés les tombeaux de Voltaire

  1. Le Lycée des arts était établi dans l’ancien cirque du jardin du Palais-Égalité.