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disposition de ses troupes pour les confier au général Perregaux, il avait été très froissé; mais entre les deux, le maréchal, bon juge, avait reconnu que celui-ci possédait mieux l’art de conduire une colonne. Le lieutenant-colonel de Maussion, chef d’état-major de la division d’Oran, aimait et estimait son général, mais il connaissait bien ses défauts : « Le général d’Arlanges, disait-il, est un brave homme, plein de sens et de jugement, mais qui comprend très lentement, de sorte qu’il est impropre à la bataille, où il faut voir vite. Comme il est très brave et plein d’ardeur, il court alors à droite et à gauche au milieu des balles ; mais il ne sait pas faire mouvoir les troupes à propos. Avec beaucoup de droiture et de courage, il est craintif et caporal, n’osant rien prendre sur lui dans une position où il faut beaucoup oser. » Tel était l’homme qui, à dater du 15 avril, allait avoir en face de lui Abd-el-Kader.

Ce jour-là, dès l’aube, la colonne avait quitté le bivouac de l’Oued-Ghazer; elle montait lentement les pentes du Dar-el-Atchoun, quand, vers sept heures, des cavaliers arabes se montrèrent en grand nombre sur sa gauche. Moustafa-ben-Ismaïl, qui avait l’instinct de la guerre et surtout l’expérience de cette guerre-ci, courut au général et le pressa d’engager, l’action en lui disant qu’il était dangereux de s’aventurer dans la montagne avant d’avoir infligé une sévère leçon à l’ennemi. Éconduit sans avoir pu se faire écouter, mais de plus en plus assuré du péril prochain, Moustafa ne put pas se contenir ; il entraîna ses Douair à la charge ; ils n’étaient que 200 ; l’ennemi, infiniment plus nombreux, les enveloppa. Pouvait-on les laisser périr? Bien malgré lui, le général d’Arlanges envoya pour les dégager les chasseurs d’Afrique ; mais ceux-ci eurent besoin d’être soutenus à leur tour; il fallut envoyer le 17e léger, puis le 47e, puis bataillon par bataillon, toute l’infanterie. Encore plus ardens que la cavalerie arabe, les fantassins kabyles se battaient avec rage; ils couraient sur les canons, se jetaient sur les baïonnettes ; ils relevaient sous la mitraille leurs blessés et leurs morts. Quand ils s’arrêtèrent enfin, vers midi, épuisés de fatigues, ils s’éloignèrent lentement; ces vaincus ne pensaient qu’à prendre leur revanche, ils n’étaient pas en déroute. Aussi, lorsque le général d’Arlanges, après quelques heures de repos, donna l’ordre de reprendre la marche, Moustafa le supplia d’attendre encore, sur ce champ de bataille dont les détails lui étaient désormais familiers, l’occasion prochaine d’un combat décisif; alors l’ennemi, de nouveau battu, écrasé, serait définitivement réduit à l’impuissance, alors la colonne française pourrait sans inquiétude prendre possession de la Tafna : « Si tu parviens à dompter ici l’ennemi, disait Moustafa, alors seulement tu seras libre de tes mouvemens ; si tu ne peux le détruire ici, estime-toi heureux de ne l’avoir pas rencontré