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Elles y soutinrent, deux jours durant, les attaques acharnées des Kabyles ; pendant ce temps, au bruit de la fusillade répondaient les coups de pic et les coups de mine ; le génie avançait lentement, luttant contre le roc, comblant les ravines, aplanissant les obstacles, frayant la route à l’artillerie qui s’élevait derrière lui de rampe en rampe. Enfin, le 5 avril, les derniers lacets l’amenèrent au niveau du col. En cinq jours, les sapeurs du colonel Lemercier avaient ouvert dans le flanc de la montagne 15 kilomètres 1/2 de voie carrossable. Le soir, à 960 mètres de hauteur, les pièces de campagne saluèrent l’accomplissement de cette œuvre gigantesque et les échos de l’Atlas en propagèrent jusqu’aux douars les plus éloignés la terrifiante nouvelle. Sur un rocher du Ténia, au bord de la route, on put lire cette inscription gravée par les soldats : Maréchal Clauzel (1830-1836.)

Quand, à Médéa, on avait appris que les Français étaient maîtres du défilé, les hadar avaient pris peur et quitté la ville ; alors le bey Matmore, tiré de sa cave et escorté de quelques amis, y avait été reçu par les coulouglis. Pour faire en sa faveur une démonstration et donner confiance à ses partisans, la lutte ayant cessé, le h avril, autour du col, le maréchal avait fait descendre à Médéa, ce jour-là même, le général Desmichels avec toute la cavalerie, le 62e et deux pièces de montagne. Le général fut frappé du triste aspect de cette ville abandonnée, dont les rares habitans, juifs et coulouglis, sombres et craintifs, ne donnèrent, à son arrivée, aucun signe d’allégresse. Mohammed aurait souhaité qu’il demeurât quelques jours auprès de lui ; mais, ses instructions ne lui permettant pas de prolonger son séjour à Médéa, le général Desmichels en repartit, le 5, après avoir donné aux coulouglis six cents fusils et cinquante mille cartouches. Arrivé au bois des Oliviers, il y rencontra le général Rapatel, qui lui apportait l’ordre de châtier la tribu des Ouzra, la plus turbulente de celles qui avaient méconnu et insulté le bey protégé de la France. Le lendemain, de concert avec Mohammed, qui vint accompagné des coulouglis et d’un petit goum de cavaliers arabes, l’exécution fut faite, le feu mis dans les douars, le bétail enlevé. Le 27, le général reprit le chemin du col ; le soir même, toute la colonne expéditionnaire bivouaquait autour de Haouch-Mouzaïa ; le 9, les troupes qui l’avaient composée rentraient dans leurs cantonnemens. Leurs pertes s’élevaient à 300 hommes tués ou blessés.

En fait, quel était le résultat de cette opération de guerre ? Pour en bien juger, il faut se reporter à six années en arrière et la comparer à l’expédition de novembre 1830. Alors, comme en 1836, le maréchal Clauzel, parti avec l’espoir de pousser jusqu’à Miliana, n’avait pas étendu son action plus loin que Médéa ; mais, en 1830,