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dont il faisait partie depuis 1789. Il pensa alors à se soustraire à une arrestation immédiate; il courut se réfugier près d’un ancien huissier de l’Académie des sciences, Lucas, qui habitait encore au Louvre, et qui, loin de redouter le périlleux honneur de sauver un proscrit, le cacha courageusement dans les locaux où tout récemment l’Académie tenait ses séances. Lavoisier espérait encore que l’urgence de ses services à la commission des poids et mesures pourrait le préserver du sort des fermiers-généraux ; tout d’abord, il songea à écrire aux autres commissaires et ébaucha une lettre qu’il arrêta dès les premières lignes; puis, après deux jours de cruelles angoisses, il s’adressa hardiment au comité de sûreté générale, où siégeaient Vadier, Amar, Voulland, Jagot, Louis (du Bas-Rhin).


« Aux citoyens représentans du peuple composant le comité de sûreté générale de la Convention nationale.


« Citoyens représentans,

« Lavoisier, de la cy-devant Académie des sciences, est chargé, par les décrets de la Convention nationale, de concourir à l’établissement des nouvelles mesures adoptées par la Convention nationale.

« D’un autre côté, un décret nouvellement rendu ordonne que les fermiers-généraux seront renfermés dans une maison d’arrest pour travailler à la reddition de leurs comptes ; il est prêt de s’y rendre, mais il croit auparavant devoir demander auquel de ces décrets il doit obéir.

« Le comité de sûreté générale concilieroit l’exécution des deux décrets si, provisoirement, il ordonnoit que Lavoisier demeurera en état d’arrestation sous la garde de deux de ses frères sans-culottes. Il observe qu’il y a trois ans qu’il n’est plus fermier-général et que sa personne et toute sa fortune garantissent sa responsabilité morale et phisique.

« Ce sextidi primaire, l’an IIe de la république une et indivisible. »


Comment put-il faire parvenir cette lettre? En quels termes le comité de sûreté générale rejeta-t-il une demande si modeste ? Par quelles voies Lavoisier sut-il qu’elle était repoussée? Nul document ne nous le fait connaître; et, du reste, quelle chance de succès pouvait-elle avoir auprès du comité qui devait assurer l’exécution du décret, et que ne sollicitèrent pas de hautes influences?

Enfin Lavoisier renonça à la lutte; il quitta l’asile hospitalier du