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fond d’un trou, une petite mare, résidu des pluies auquel l’imperméabilité du sol n’a pas permis de filtrer. Ce réservoir a moins de 10 mètres carrés, mais il est assez profond. C’est là que les femmes du village viennent remplir leurs outres et, sans se soucier autrement de nous, elles procèdent à toutes les ablutions recommandées par le Prophète, avec la même liberté d’esprit que dans le hammam le plus discret. Un peu plus tard, notre muletier, passant au bord de la mare, y prend un bain complet, puis y lave ses habits; il est juste de dire qu’ils en avaient grand besoin. Nous ne bûmes pas le soir au dîner.

— La nuit venue, point d’escorte. Nous faisons charger nos mulets et nous allons nous mettre en route. Le chef du poste arrive.

— Vous partez?

— Nous partons.

— Seuls?

— Seuls.

— C’est impossible, le khan m’a donné les ordres les plus formels pour vous faire accompagner. L’escorte n’est pas prête encore. En partant, vous faites tomber ma tête. Je vais, avec ce qui me reste de tofangchis, vous en empêcher de force.

— Tu as le choix ou de nous faire escorter ou d’essayer de nous arrêter. Ce dernier parti n’est pas prudent.

En même temps, nous entrons dans le défilé. Bientôt quelques hommes armés courent derrière nous et se mettent à marcher à nos côtés sans dire une parole. Ils firent leur métier d’éclaireurs en conscience. Nous nous attendions à être frappés d’un bakchich en conséquence. A la sortie du défilé, nous regardons autour de nous : plus d’escorte. Ils étaient partis sans tendre la main. Ce fut un des grands étonnemens de ce voyage.

La Perse du Nord, à part Téhéran, est bien privée des ressources et du confortable européens ; néanmoins, comme nous avions débuté par les pays les plus sauvages et par les plus fatigantes étapes, elle nous parut un ravissant séjour. Nous fîmes un long, mais bien intéressant voyage. Au mois de novembre, nous étions de retour à Bender-Bouchir; nous y retrouvions M. et Mme Dieulafoy et nous partions tous ensemble pour la Susiane, afin de faire, pendant l’hiver et le printemps, une seconde campagne de fouilles.


F. HOUSSAY.