Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/887

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans les villages du littoral, le khan sortait chaque soir sur une terrasse qui regardait la mer. Ses nombreux intendans venaient un à un, apportant leurs recettes, qu’il inscrivait lui-même à mesure. Cette comptabilité durait assez longtemps, car ils font un important commerce. Puis, les affaires finies, on apportait le thé et les gahlians, et ils restaient là, devisant à voix basse, engourdis par la tiédeur d’une nuit d’été et bercés par le léger clapotis des vagues.

Dans les très petits villages, nous étions encore en butte à la défiance et à l’intolérance religieuse. Aïssar, en particulier, est un amas de chétives huttes ; les habitans ne connaissent rien au-delà de leurs palmiers. Nous y arrivâmes dans les premiers jours du mois de rhamadan, et, comme nous ne dissimulions pas notre intention de nous restaurer, les habitans, indignés, se mirent à nous injurier et refusèrent de nous vendre des vivres. Le jeûne n’entrant point dans notre programme, nous fîmes. malgré leurs protestations, une chasse à la poule, couronnée bientôt par le plus brillant succès. L’animal tué, plumé et cuit, son propriétaire n’eut plus qu’à venir chercher l’argent qui lui était dû, et nous pûmes manger le déjeuner si étrangement conquis.

Malgré son état de ruines, Bebahan est encore la ville la plus importante de cette région. Ethnographiquement et politiquement, elle dépend du Fars, bien que les cartes la comprennent dans l’Arabistan. Son gouverneur relève de celui de Chiraz. Nous y fûmes bien accueillis. Notre hôte nous envoya un déjeuner et un dîner servis à la persane, tous les plats ensemble sur un grand plateau. Les gens de la maison nous apportèrent des chirini, sucreries variées, poudre de café, de sucre et d’aromates broyés ensemble. Très parfumé et délicieux, ce mélange avait sur les nerfs une action énergique, et il eut pour effet de nous tenir tout une nuit éveillés. Tous les couloirs, tous les escaliers du palais étaient encombrés de dormeurs ; la promenade n’était possible que dans les jardins. Il faisait très doux au dehors ; toute la maison paraissait endormie. Vers minuit, nous vîmes sortir de l’endéroun un homme portant à la main une de ces lanternes vénitiennes ayant la taille d’un petit tonneau et que les Persans appellent des fanous ; une femme voilée marchait derrière lui d’un pas rapide. Il la conduisit à l’appartement où, le soir, nous avions vu se retirer notre hôte. Une heure avant le jour, la même femme suivait d’un pas moins rapide le même domestique portant son fanous et rentrait à l’endéroun. Quoique déjà habitués aux mœurs musulmanes, cette façon d’envoyer quérir une compagne par un homme de confiance et de la congédier quand le besoin de solitude se fait sentir nous parut assez originale.

Le gouverneur de Bebahan est propriétaire de nombreux mulets