Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même quelque chose en plus s’ils ! le peuvent. De ce fait, l’autre tribu devient la volée et se considère comme ayant des troupeaux à reconquérir.

Au bout de quelques années, les comptes s’embrouillent, et chacun, pour ne pas être dupe, voie tout ce qu’il peut dès que l’occasion s’en présente. D’ailleurs, voler n’a point pour eux un sens méprisant, ils montrent leur butin avec le même orgueil que s’il s’agissait de n’importe quel fait de guerre. Nous avons rencontré une fois en plaine une dizaine d’Arabes armés ; ils nous saluèrent et nous demandèrent du pain. « Depuis cinq jours, nous dirent-ils, nous marchons dans le Sahara, n’ayant à manger que de l’herbe, et, par Allah ! nous sommes vraiment malheureux, nous avons seulement pu voler ces deux buffles que vous voyez. » Leur infortune était encore au-dessus de leurs prévisions ; car, à peine à une heure de leur campement, les propriétaires dépouillés, qui les suivaient depuis deux jours, tombèrent sur eux à l’improviste, les mirent en fuite et reprirent le chemin de leurs tentes avec les deux buffles, qui devaient commencer à trouver singulière cette promenade sans but.

Les combats qui se livrent autour des troupeaux ne sont pas toujours inoffensifs. Il y a souvent mort d’homme. En descendant l’Ab Dizfoul, nous avons trouvé, s’en allant au fil du courant, un Arabe tué par un coup de sabre dans le dos. Combien d’autres sont venus à Suse pour faire soigner des blessures reçues en pareille circonstance ! L’un avait depuis six semaines une balle dans la poitrine, et, chose vraiment prodigieuse, il avait fait dans cet état une longue étape à cheval ; un autre, avec une balle dans le mollet, fit trois jours de marche pour venir se faire panser. Leur bestiale résistance à la douleur est vraiment extraordinaire.

Les Arabes sont, en immense majorité, nomades. Ils vivent sous des tentes de laine noire que les femmes tissent elles-mêmes. Les hommes filent, et, en traversant les tribus, on les voit causer et se promener en tournant rapidement entre leurs doigts le primitif dévidoir. La tente est divisée, perpendiculairement à sa longueur, par une claire-voie de roseau ou de palmier. Un des compartimens est affecté à la vie du dehors : c’est là que le mari reçoit ses amis ou les étrangers ; l’autre côté est réservé pour la vie de famille. Les femmes y séjournent le plus souvent : les jeunes, occupées au tissage des tapis ou des étoffes ; les vieilles, s’employant aux plus gros travaux. Cependant, les femmes de tribus ne sont point strictement tenues au séjour dans le harem; elles vont et viennent à visage découvert, causent avec l’étranger, ce que l’on ne saurait jamais voir dans une ville persane.

Les tribus, aujourd’hui ruinées par des impôts excessifs et toujours