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de la montagne est devenu très grêle ; il est fort répandu encore, mais ne dépasse pas la taille d’un buisson ; en revanche, les myrtes fleuris forment de véritables bosquets.

De ce plateau se détache une longue gorge où l’on pénètre à travers des rizières, dans lesquelles les chevaux enfoncent jusqu’au ventre. Elle est enfermée à droite, à gauche et au fond par de hautes montagnes, et sur leurs flancs sont taillés les bas-reliefs représentant les exploits de Chapour. D’un point un peu élevé de la montagne cette étroite vallée offre le plus riant tableau. Le ruisseau qui la traverse se déroule au loin comme un long ruban verdâtre taché d’écume : il est encadré dans la verdure des arbres et des grands roseaux. Par endroits, il disparaît en bouillonnant dans les restes d’un antique aqueduc : en d’autres points ses eaux vives et froides comme la glace se perdent sous des massifs de myrtes, de saules, d’acacias et de figuiers.

Kasrân est une assez grande ville : une eau limpide court dans toutes les rues. Le bazar est rempli d’étoffes de Bombay et de pacotille anglaise: on y trouve aussi de la glace, ce qui ne fut pas sans nous causer une certaine joie. Dans toutes les grandes villes de Perse, sur les plateaux, c’est un produit commun, au point que le plus pauvre soldat peut boire de l’eau fraîche pendant tout l’été. Au milieu de la ville se trouve une petite place, et, sous les arbres, des Persans assis causent et fument leur éternel ghalian. Une belle piscine de pierre se trouve là, au milieu des tombes, car la place sert aussi de cimetière. Il règne alentour une grande activité : les uns y puisent de l’eau pour laver leur cheval ; les autres, tout nus, y entrent pour faire leurs ablutions. Une mosquée, entourée de maisons blanches, s’élève au milieu des palmiers, et le tout se détache sur la montagne bleue. C’est un fort joli séjour.

Le mûrier prospère dans toute la Perse, et il n’y a pas un seul ver à soie. Dans le nord, on le comprend assez, en raison du long et froid hiver; mais à Kasran, par exemple, où il n’y a ni neige durable, ni chaleurs excessives, on ne se rend pas compte de cette absence. Des magnaneries installées là produiraient la soie à très bas prix. En communication avec l’Europe par le télégraphe; à quatre jours de la mer, avec toute facilité par conséquent pour faire venir des approvisionnemens et pour envoyer les produits du pays ; les journées d’hommes presque pour rien ; on ne saurait trouver de meilleures conditions pour une exploitation.

Au-dessus de Kasrân, l’aspect de la montagne devient plus rude et plus sauvage; autour des plateaux, plus étroits, se dressent des montagnes de roches éboulées, dont les durs contours disparaissent sous le vert manteau des grandes forêts de chênes. Ces arbres sont un peu rabougris ; leurs branches tordues ont des allures grimaçantes.