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Bientôt nous entendons les sonneries d’une autre caravane qui descend. Vite les muletiers se hâtent d’arrêter leurs bêtes dans toutes les parties élargies de la route, et l’on attend. Un cheval en tête, chargé de pompons et d’énormes cloches, fier du rôle important qui lui est confié et ne se laissant devancer sous aucun prétexte, le flot descendant passe devant nous. Les hommes, très affairés, n’oublient pas cependant de se faire de mutuelles politesses et de se demander réciproquement des nouvelles de leurs excellences. Ce sont des paquets de coton qu’ils emportent, et il en passe toujours. Toujours on voit, à l’échancrure qui marque sur le ciel la fin du kotal, apparaître un nouveau mulet entre ses deux ballots. Enfin, c’est tout ! La caravane disparaît dans la profonde gorge d’où nous venons. On n’entend plus que le bruit de ses clochettes qui va s’affaiblissant ; nous achevons notre ascension, la barbe et les cheveux poudrés à blanc par la poussière de plâtre, sans compter ce qui nous est entré dans la bouche.

Voici le joli plateau de Kamaradj avec sa coquette petite ville, dont les blancs imam zadés, les maisons surmontées de badgirs, tours carrées qui amènent l’air du dehors, s’adossent à la montagne. À la fin de juin, c’est-à-dire en plein été, la température nous paraît tout à fait douce, à nous qui venons de l’Arabistan ; même le soleil de midi ne nous incommode pas. Les habitans ont déjà vu des Européens, et nous ne sommes plus en butte à l’indiscrète curiosité qui nous avait si fort fatigués à Suse, chez les Bakhtyaris et chez les Arabes.

Une route accidentée et sinueuse, où abondent les montées, les descentes et les gorges, mais où ne se trouve aucune pente trop abrupte, nous mène dans le grand plateau de Kasrân, clos de toutes parts par la montagne. C’est une des plus belles parties de la Perse. La plaine est parcourue par des eaux vives, et l’on comprend fort bien sa splendeur passée, attestée par les ruines qui s’étendent sur 20 kilomètres de Kasrân à Chapour. À la fois exempte du torride été de l’Arabistan et du long hiver des plateaux iraniens, elle jouit d’un climat charmant. C’est la limite supérieure du palmier. On peut comparer ce plateau au nord de l’Algérie ; l’été, le thermomètre monte peut-être plus haut ; mais comme, en revanche, il y fait beaucoup plus sec, la chaleur est plus facile à supporter. De nombreux villages sont encore aujourd’hui répandus çà et là. Des champs de blé, d’orge, des rizières couvrent une partie du plateau ; mais comme il est trop étendu pour le nombre d’hommes qui y vivent, il existe encore de grands pâturages, et c’est de toute la Perse l’endroit où l’on voit les plus grands et les plus beaux troupeaux, ceux des nomades exceptés. Le konar des parties inférieures