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colossale et procurent aux demeures une fraîcheur relative, en créant alentour une zone où ne se produit pas l’ardente réverbération du sol.

L’eau des puits, dont la plaine est criblée, n’est pas très bonne à boire. Elle est assez limpide ; mais elle a une forte saveur salée et amère; néanmoins elle est encore préférable à l’eau de la plus grande partie de la Perse. Soit à cause de ces puits, soit parce qu’ils vont souvent à la mer, les habitans du littoral sont presque tous atteints du ver de Guinée, qui leur produit de grosses tumeurs aux bras, aux épaules ou aux jambes. A Bouchir, en particulier, ce parasite est extrêmement répandu, et il n’est pas exagéré de dire que la majorité des gens du peuple en est victime.

Il est si aisé de parcourir ce pays dans tous les sens, qu’il ne s’y est point créé de routes; chacun va droit d’un point à un autre sans qu’aucun obstacle l’arrête. En partant, chaque jour, nous étions obligés de prendre un guide. Tantôt il nous faisait traverser de petits bras de mer de 1 kilomètre de large avec de l’eau aux jarrets des chevaux : le fond était heureusement très régulièrement plat. Puis on allait à travers des plaines toujours en droite ligne, presque toutes les nuits, après quelques heures de marche, le guide déclarait qu’il ne savait plus de quel côté se diriger. Pendant une heure, nous examinions le terrain autour de nous pour essayer de trouver une trace de sentier, un indice quelconque. Si nous apercevions un village, nous nous dirigions de ce côté ; mais dès que les aboiemens des chiens nous avaient signalés, on nous accueillait à coups de fusil. Presque toujours nous acquérions la certitude d’être bien perdus. Alors, nous ressentions une douce satisfaction, nous descendions de cheval, et, étendus sur la terre encore chaude, nous goûtions jusqu’au lever du soleil quelques heures d’un bienfaisant sommeil. Nous trouvions ce court repos dans la fraîcheur du matin bien préférable à la sieste des étouffantes après-midi. Le jour venu, le guide retrouvait son chemin et nous achetions notre étape.

Tout ce pays est splendide, au coucher du soleil surtout : les palmiers ne sont vraiment beaux qu’à ce moment du jour. Sur le ciel et sur la plaine, séparés par un horizon tout droit, s’étend une infinie variété de couleurs : le recueillement des choses gagne l’homme, le bruit cesse dans les villages. C’est l’heure de la prière. Il y a dans ces spectacles un caractère de grand calme et de grande majesté, et l’on trouve beaux au crépuscule ces paysages brûlés que le soleil a rendus insupportables le jour.

Les érosions qui ont raviné le pays ont respecté un petit massif de marnes. Ilot isolé et nu dans la période qui a précédé la nôtre, s’élevant au-dessus des eaux du golfe, tandis que se formait dans leur profondeur le dépôt calcaire qui a si bien nivelé la région, il