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qu’ils nous garantiraient pendant quelques heures de la trop grande ardeur da jour.

Notre guide nous conduisit jusqu’au bord du fleuve. C’était facile, il n’y avait pas plus de A kilomètres et le sentier était bien tracé. Arrivé là, il nous déclara qu’il ne connaissait pas le gué, et que d’ailleurs aucune récompense ne pourrait le décider à aller sur l’autre rive. Ennuyés de tous ces délais, nous poussons nos chevaux dans l’eau. C’est encore un torrent qui file autour de nous avec une incroyable vitesse; mais nous commençons déjà à nous accoutumer à ces fleuves rapides, et leur course impétueuse ne nous donne plus de vertige. M. Babin est sur le point d’atteindre la rive opposée, h. ce moment, mon cheval tombe dans un trou, s’abat, et je me trouve plongé dans une eau glacée. J’eus quelque peine à sortir de là, gêné par mes vêtemens et par le poids de mes armes. Les mulets suivent, et tiennent bravement tête au courant; tout d’un coup, le muletier qui traversait auprès d’eux perd pied et est entraîné. Ses mains s’agitent en l’air et rencontrent par bonheur la queue d’une de ses bêtes. Sans cela, peut-être, ne l’aurions-nous jamais revu.

Un peu mouillés, mais contens malgré tout, nous examinons les alentours pour savoir de quel côté porter nos pas. Nous apercevons un petit village, nous l’atteignons rapidement. Le ket-khodâ qui gouverne ces quelques cabanes de boue et de troncs de palmiers vient à notre rencontre. Après les complimens d’usage, nous lui demandons un guide en proposant un prix élevé pour le pays. Il parut très étonné et nous crut certainement un peu fous quand il sut que nous nous proposions de gagner Bebahan si maigrement accompagnés. Ni les promesses, ni même les menaces ne déterminèrent aucun homme à venir avec nous. Le ket-khodâ nous dit d’ailleurs avec une parfaite bonne grâce que, si nous voulions attendre chez lui un état de choses meilleur, sa maison était la nôtre. Nous lui présentâmes des remerciemens en rapport avec ses offres, et, persuadés que nous finirions bien par arriver quelque part, nous prîmes la résolution d’aller tout seuls à l’aventure.

Les petits nuages du matin étaient tout à fait dissipés. Le soleil nous brûlait la peau à travers nos vêtemens mouillés, l’air chaud montait du sol et sa trépidation rendait indistincts et confus les squelettes jaunis des grands chardons.

Cependant, la figure de notre muletier devenait de plus en plus mélancolique. Tout ce qu’il entendait dire depuis la veille, ces échecs répétés dans la recherche d’un guide, lui inspiraient de grandes inquiétudes ; il craignait de se faire voler ses mulets.

— Je ne puis aller avec vous plus loin, nous dit-il tout à coup ; retournons à Ram-Hormuz.