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inclinant au nord dans la direction d’Oran, allait s’engager dans une gorge connue sauf le nom de défilé de la Chair, parce que, au siècle dernier, les montagnards y avaient fait un grand carnage d’Espagnols, Abd-el-Kader parut avec quatre ou cinq mille hommes, cavaliers pour la plupart. Le général Perregaux, qui faisait l’arrière-garde, se retourna contre eux et les contint d’abord ; puis, par une savante disposition de son infanterie, à droite et à gauche du défilé, le long des crêtes, le maréchal, présentant alternativement une des deux pointes à l’ennemi, fit sa retraite par échelons, presque sans coup férir. Cette tentative de l’émir contre l’habile manœuvrier fut la dernière ; mais il y eut de ses Arabes qui donnèrent, la nuit suivante, aux soldats français une singulière leçon d’audace. Entièrement nus ou couverts seulement de feuilles de palmier nain, ils se glissèrent en rampant au travers des grand’gardes, non-seulement jusqu’au front de bandière, mais au centre même du camp, près de la tente du maréchal, et se retirèrent, après avoir mis tout le monde en alerte, emportant des fusils volés aux faisceaux d’une compagnie d’élite. Le 12 février, le corps expéditionnaire rentrait à Oran.

Ainsi se termina l’expédition de Tlemcen; militairement honorable pour le maréchal Clauzel, elle lui fit moralement le plus grand tort. L’armée en eut le ressentiment, et son jugement fut sévère. Retenu par sa haute situation, le duc d’Orléans n’eut qu’un mot, tristement significatif, sur ce séjour à Tlemcen « qui, malheureusement, ne fut point employé d’une manière utile pour la position morale et la considération de l’autorité française. » Le 17 février 1836, le lieutenant-colonel de Maussion, chef d’état-major de la division, écrivait d’Oran : « La dernière expédition aurait été très belle et très avantageuse, si le démon de l’argent n’était venu, sous la figure d’un juif d’Oran, souffler au maréchal l’idée que Tlemcen renfermait beaucoup de richesses. Il a frappé une contribution sur les juifs, sur les habitans qui étaient rentrés, et enfin sur les coulouglis et les Turcs, ceux même qui nous avaient appelés. Comme ces malheureux n’avaient pas d’argent, on a pris leurs bijoux, leurs effets, jusqu’à des titres de propriété, en prenant soin d’estimer le tout bien au-dessous de sa valeur. Beaucoup ont été arrêtés, quelques-uns battus ; puis, quand on a eu beaucoup tiré, un ordre du jour est venu annoncer qu’on leur rendait la contribution, et on leur a rendu, non ce qu’ils avaient donné, mais les sommes estimées. Tout a été assorti dans cette affaire : le montant de la contribution n’a jamais été officiellement déclaré ; aucun Européen n’a été admis à voir les objets apportés en paiement et à les acheter au besoin ; ni l’intendant, ni le payeur n’ont été appelés. Cette contribution sur les coulouglis a aliéné ces hommes qui étaient à nous ; et fait éloigner des tribus qui étaient prêtes à se soumettre. Elle a valu beaucoup