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qui devaient aider à soutenir le siège. C’était maigre : deux terrines entamées, des biscuits anglais, quelques livres de chocolat, des marrons glacés, de la pâte de Regnauld, des pommes ridées et pas de pain, une cruche pleine d’eau et quelques bouteilles de liqueur passées en contrebande. On sortit également d’une paillasse des cigares et du tabac soigneusement enfouis.

À quoi servirait l’indépendance, si ce n’était pour user aussitôt de ce qui est le plus défendu ? Les élèves allumèrent tout de suite les pipes et les cigares en buvant la liqueur, puis se mirent à danser une ronde formidable autour du lit aux provisions.

Bientôt chacun tomba de fatigue ; on put entendre alors derrière la porte, assourdie par la barricade, la voix du père Antoine, suppliante d’abord, puis sévère, menaçant d’une répression terrible si la révolte durait cinq minutes de plus.

Cinq minutes ! c’était dérisoire ; avoir fait une révolution pour cinq minutes de liberté. Plutôt la mort ! c’était la devise du moment.

Chambert se chargea de répondre :

— Le renvoi immédiat du cafard Tesson ! — Amnistie pleine et entière ou rien, criait-il en déguisant sa voix.

Sur ces bases, impossible de s’entendre. Les pas du principal se perdirent dans l’escalier.

L’un des insurgés eut un trait de génie. Il arracha du lit du surveillant un rideau de percale jaune, bordé de rouge ; avec un morceau de cosmétique noir, il écrivit sur l’étoffe, en hautes lettres, les conditions de la paix :

En tête, naturellement : « République française, une et indivisible, etc.

« Tesson sera chassé comme cafard, jésuite et mauvais citoyen.

« Aucun élève ne sera inquiété pour fait d’insurrection.

« Amnistie générale pour les punitions présentes et passées.

« Le renvoi de deux ou trois pions suspects.

« Echange mutuel de parlementaires ayant mission de traiter. »

Ils étaient modérés, ils ne demandaient aucune récompense.

Après que tous eurent pris connaissance et approuvé, on attacha la loque jaune au manche d’un balai, et on tendit par la fenêtre ce projet de protocole. Agité par le vent, le drapeau jaune ressemblait à un étendard japonais ; les hirondelles effrayées battaient l’air de leurs ailes. Autour, les têtes d’enfans groupés attendaient curieusement l’effet de leur ultimatum.

Le père Antoine, exaspéré de tant d’audace, s’avança seul, laissant derrière lui les professeurs assemblés. Quand il fut à portée :

— Polissons ! cria-t-il d’une voix de stentor en faisant un porte-voix de ses mains réunies, si vous n’ouvrez tout de suite, je fais