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plus dans les idées du jour, et surtout plus nouveau ; aussi avait-il enlevé rapidement tous les suffrages ; dans cette lutte inégale, le pauvre vieil homme devait succomber.

Les enfans, avec la cruauté et l’ingratitude qui les distinguent, avaient laissé briser leur idole de la veille sans chercher à la défendre ; ils s’étaient tournés sans exception vers le soleil levant. La danse fut définitivement abandonnée comme un art démodé.

Malgré tout, le pauvre homme se rendait chaque jour à l’heure accoutumée dans la salle déserte : aucun élève ne le suivait.

Le professeur d’histoire, en qualité d’ancien officier, avait une méthode excellente pour enseigner rapidement l’escrime et les manœuvres ; aussi lui avait-on confié le commandement des bataillons d’élèves ; il avait changé le collège en école militaire : on ne faisait plus autre chose que l’exercice, les petits avec des sabres de bois, les grands avec des carabines réformées.

Le premier résultat de ce régime fut d’introduire dans l’école comme un souffle guerrier et un sentiment de révolte auxquels les journées de juin vinrent mettre le comble. Les élèves avaient déjà la Marseillaise, les cocardes, les devises et les sabres de bois ; on jouait déjà aux soldats, il leur fallait maintenant jouer à la révolution : on se sentait mûr pour l’indépendance.

Le prétexte ne fut pas difficile à trouver. Il y avait au collège un surveillant qui faisait l’office de censeur. Extrêmement sévère, les élèves, pour ce motif, le trouvaient injuste. Il était hostile à cette éducation militaire, qu’il qualifiait de singerie ; de plus très pratiquant et fort attaché à la famille déchue. Les enfans, dans l’ignorance des nuances politiques, le traitaient pour ce motif de jésuite et de chouan. Ils résolurent un jour d’obtenir son renvoi.

Ils savaient que, pour changer de gouvernement, le moyen le plus sûr est de faire une révolution ; aussi fut-elle vite décidée : ils connaissaient la tradition révolutionnaire. De ce jour, la maison prit un air sombre et recueilli ; on faisait encore l’exercice, mais on ne chantait plus ; les élèves se réunissaient dans les coins, par groupes serrés, ou marchaient avec des attitudes de conspirateurs. Les petits et les externes étaient soigneusement écartés, les grands seuls faisaient partie du complot. Les douteux étaient flétris de l’épithète d’espions, et les murs couverts d’inscriptions à la craie, telles que : « Mort aux traîtres ! la liberté ou la mort ! » et autres sentences gracieuses.

Un soir, le surveillant, qui s’appelait Tesson, entra dans une salle de moyens pendant l’étude ; quelqu’un avait écrit sur la porte de son cabinet :

TESSON EST UN CAFARD.