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Quand les chevaux furent rattelés, le conducteur grimpa lestement à son cabriolet, un nouveau sac sur l’épaule, et de sa voix grasse et gouailleuse envoya des adieux à ses amis.

Le postillon prit ses guides, mouilla sa mèche, enleva ses chevaux d’un cri strident, et la diligence disparut bientôt dans un nuage de poussière, avec un grand bruit de ferraille et de grelots. Pendant ce temps, la foule, armée de journaux, rentrait sur la place pour discuter les événemens.

Les nouvelles arrivèrent aussitôt dans le collège par les externes, les professeurs et les parens. Les élèves, déjà surexcités par le courant politique, furent vivement impressionnés ; aussi, ce jour-là, au collège de ***, le travail se ressentit des émotions de la journée ; on causa beaucoup des événemens pendant la récréation du soir, et bien avant dans la nuit, malgré les protestations du surveillant, on entendit dans les dortoirs des chuchotemens prolongés.

Les enfans ont un instinct d’imitation qui les porte à prendre rapidement les idées, les costumes, et les mœurs d’une époque. À partir de ce jour, on ne s’occupa plus que de politique pendant les récréations ; les jeux ordinaires furent abandonnés, les élèves fabriquaient des cocardes, les plus industrieux en faisaient commerce ; ils se réunissaient par groupes et manifestaient, ou bien, se prenant par le bras comme des ouvriers en goguette, s’en allaient par les cours en chantant la Marseillaise et le Chant du départ.

Le pauvre père Rousselin était désolé ; à ses peines de cœur venait se joindre le renversement de tout ce qu’il aimait depuis son enfance ; il n’osait affronter le courant et montrer la révolte intime qu’il éprouvait contre les tendances du jour, mais il souffrait réellement. Jusqu’ici il avait lutté. Ses leçons étaient encore un peu suivies ; il oubliait, dans un groupe de fidèles, l’abandon des ingrats. Mais après l’insurrection de juin, il fallut se résoudre. Son dernier élève le quitta, entraîné par la tourmente.

Cet abandon fut d’autant plus cruel qu’il n’était point seulement le fait d’un caprice passager, mais le résultat d’une sorte de rivalité qui s’était manifestée tout d’abord entre le professeur d’histoire et le maître de danse.

Il existait entre eux une hostilité profonde qui prenait naissance dans leurs opinions respectives. Autant l’un affectait des manières simples et un peu militaires, méprisait les formes surannées, le beau langage, et prêchait l’indépendance, autant le pauvre père Rousselin s’efforçait-il de réagir contre les principes qu’il avait toujours combattus. Son attitude seule était une critique constante des théories de son collègue. Mais Simon Carmejade était plus jeune.