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avoir rencontré d’opposition, la colonne prit son bivouac; la nuit ne tarda pas à lui révéler, par des feux étages en grand nombre sur les deux rives de la Tafna, le voisinage de l’ennemi. Sans compter les Hachem et les Beni-Amer, qui étaient restés fidèles à la fortune de l’émir, Ben-Nouna, très influent dans ces parages, avait appelé à lui les Kabyles d’Oulaça et même les montagnards fanatiques du Bif marocain. Ils étaient accourus nombreux, ardens, décidés à barrer aux chrétiens la route de Bachgoun, car ils avaient deviné sans peine le dessein du maréchal. Le 26 au matin, les troupes françaises, sauf le 11e de ligne laissé sur la rive gauche de l’Isser avec les bagages, passèrent la rivière et manœuvrèrent de manière à débusquer l’ennemi des hauteurs et à le rejeter dans la plaine où l’attendaient les chasseurs d’Afrique. Un vigoureux élan des Douair, entraînés par Moustafa-ben-Ismaïl et soutenus par les coulouglis, rompit la ligne d’Abd-el-Kader, dont la gauche isolée disparut du champ de bataille; le centre refoulé dans la plaine, assailli, pris en flanc par les chasseurs, ne fit pas une longue résistance ; ses groupes dispersés cherchèrent un abri au-delà des escarpemens de la Tafna: mais le passage était difficile ; nombre de Marocains, surpris à ce moment par l’escadron turc du 2e chasseurs, furent sabrés ; un des leurs, un porte-drapeau, serré de près, sur le point d’être atteint, lança son cheval par-dessus la berge à pic ; le cheval et le cavalier roulèrent morts sur la grève, mais le drapeau, recueilli par un Arabe, ne tomba pas aux mains des infidèles. Pendant l’action, les Kabyles d’Oulaça, conduits par leur caïd Bou-Hamedi, avaient essayé sans succès de se jeter sur les bagages. Le combat fini, le maréchal voulut reconnaître lui-même la position qu’avaient occupée les troupes d’Abd-el-Kader, en avant de la gorge où s’enfonce la Tafna. De là il aperçut la rivière encaissée entre deux murailles de roc, et le chemin qui suit la rive droite constamment dominé df s deux bords. Il n’était pas possible d’engager des troupes dans un tel défilé, ni, par conséquent, de relier par cette voie si dangereuse Tlemcen et Rachgoun. Obligé de renoncer à son rêve, le maréchal résolut de se mettre le lendemain en retraite. Le 27, la colonne avait fait demi-tour lorsqu’elle fut assaillie tout à coup et violemment par des bandes nombreuses qui pendant la nuit avaient traversé la Tafna ; c’étaient des Marocains et des Kabyles arrivés depuis le combat de la veille. Les coulouglis, qui reçurent leur premier choc, furent rejetés sur le bataillon d’Afrique ; les chasseurs eux-mêmes eurent quelque peine à se dégager de la masse des assaillans. Après cette charge furieuse, le maréchal se préparait à prendre l’offensive à son tour, lorsqu’il vit l’ennemi cesser presque subitement son feu et rétrograder précipitamment vers la Tafna. Il eut bientôt l’explication de ce coup de théâtre ; c’était l’apparition