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sa main sur ses yeux et suivit par la pensée celle qui, désormais, était sa vie entière. Puis la lumière s’éteignit ; c’était, comme chaque jour, la dernière de la maison. Le père Rousselin reprit, à travers la prairie, le chemin de sa demeure. Les semelles minces de ses escarpins de danse laissaient passer les tiges du foin coupé, mais sa tête était trop près du ciel pour sentir ce qui se passait à ses pieds.

Pour la première fois, sa chambre lui parut triste, déserte, et lourde sa solitude. Il essaya en vain de mettre de l’ordre dans son esprit, mais le vieil enfant ne connaissait rien au mal subit qui venait de le frapper. En passant devant sa glace, il regarda son image et fut surpris de ne point la reconnaître. Ce n’était plus le visage qu’il était accoutumé de voir, il ne s’était jamais considéré à ce point de vue. Était-il vieux, était-il jeune encore ? Il ne s’était jamais interrogé, il n’en avait que faire. Son jarret était bon et ses leçons suivies, qu’avait-il besoin de plus ? Mais quand il demanda à son miroir s’il était encore un homme et qu’il lui répondit : « Non, tu es un vieillard, » il recula d’épouvante et se sentit mourir.

II versa sur lui d’abondantes larmes.

Le lendemain, tout le jour, il erra dans la prairie : la grille du collège lui paraissait comme la porte du paradis terrestre, il n’osait reparaître. Ce qu’il éprouvait était si intense, qu’il craignait que chacun le devinât. Il eût voulu guérir, et pourtant il redoutait de perdre le charme qui l’enveloppait.

Le soir, un domestique vint, de la part de mademoiselle, s’informer de la cause de son absence. Il répondit qu’il avait été fatigué, que le jour suivant il reprendrait son cours. Le lendemain, en effet, il arma sa volonté et reparut à l’heure accoutumée.

De tous les points de la grande cour, les élèves vinrent à lui.

— Bonjour, père Rousselin, vous avez été malade ? Pourquoi n’êtes-vous pas venu hier ?

Il répondit, comme au domestique, qu’il avait été fatigué. En effet, il était pâle ; ses yeux, malgré lui, se tournaient vers la porte du rez-de-chaussée, qu’il tremblait pourtant de voir ouvrir. C’était le sanctuaire de Mlle Juliette, et aussi son royaume. Sa chambre était située à portée du parloir, pour répondre aisément à ceux qui l’interrogeaient sur leurs enfans ; elle avait aussi sous la main la pharmacie, les provisions, les fruits, les confitures ; la lingerie venait à la suite, puis l’office et la cuisine.

La chambre, assez vaste, était meublée comme celle d’une religieuse ou d’une pensionnaire : dans un angle, un petit lit sans rideau, sec, froid, rigide, un de ces lits de solitaire faits uniquement pour dormir et qui ne semblent pas se prêter à la rêverie.

Le lit, plus qu’aucun autre meuble, a son aspect personnel ;