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LE
MAITRE A DANSER
SOUVENIR DE COLLEGE.


I.

Il arrivait toujours après les fêtes de Pâques, quand les premiers rameaux du vieux saule commençaient à verdir. Un jour, à la récréation de midi, on le voyait apparaître, tenant sous le bras son violon enveloppé de serge verte ; il avait l’air d’une figure détachée des contes d’Hoffmann. Sans être absolument vieux, il n’avait rien de moderne. Il semblait être un trait d’union entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Il avait retenu de son éducation première une certaine préciosité de formes qui lui donnait l’aspect d’un bibelot ancien, d’une figurine de Saxe.

Il était chaussé invariablement, quelque temps qu’il fît, d’escarpins cirés à l’œuf et de bas chinés que son pantalon de nankin, collant, découvrait jusqu’à la cheville. Il avait dû porter la culotte dans sa jeunesse, et le pantalon d’aujourd’hui n’était qu’un compromis avec la mode de son enfance. Il était toujours vêtu d’une redingote de drap marron, courte de taille et longue de jupe, ornée de boutons en métal guilloché. Bien qu’il ne la changeât jamais, elle était d’une propreté minutieuse ; on la voyait blanchir aux coudes, mais aucune tache ne l’avait jamais déshonorée.

Le petit homme était laid, mais d’une laideur qui n’avait rien de vulgaire ; ses yeux bridés et fins promettaient plus d’esprit qu’il n’en montrait ; il avait le nez long et bourbonien, sa lèvre rigoureusement