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la juridiction de nos magistrats s’étendait à une nationalité de plus. Avec le plus d’éclat possible, au mois d’avril 1883, un vaisseau de guerre, le Hussard, avait amené à La Goulette notre personnel judiciaire venant d’Alger, de Philippeville, de Bône, environ soixante passagers. Ce chiffre a paru énorme : soixante magistrats ou auxiliaires furent installés pour remplacer quelques consuls-juges (le nombre de ces magistrats vient d’être augmenté par une loi du 19 juillet 1886). Sur ce point, on a imité l’Algérie, cela est regrettable. Les Européens s’étaient passés jusqu’alors d’un tribunal, nous avons manqué l’occasion de faire l’expérience des juges uniques; nul terrain ne s’y prêtait mieux que la Tunisie. On en aurait établi un dans chaque grande ville, les affaires ne seraient pas venues s’accumuler, au détriment les unes des autres, dans la capitale; l’économie pour les plaideurs et pour l’état eût été grande. Il est vrai que le gouvernement français n’était pas, sur ce point, très libre d’innover; ses essais sur une question qui touchait si directement aux intérêts de tous, et dans des circonstances qu’il importait de ne pas compliquer, auraient pu prolonger les hésitations des puissances; mais aujourd’hui, disent les partisans de cette réforme, rien ne nous arrête : qu’on donne des compensations avantageuses aux magistrats, ils seront trop heureux de rentrer en France, et qu’on installe à leur place ces juges uniques ! A cela, on répond que, si l’expérience réussissait en Tunisie, il n’y aurait aucune bonne raison pour refuser de la faire en France, et que cette prévision suffit à la condamner.

Les fonctions des notaires sont remplies, jusqu’à nouvel ordre, pour les Européens, comme autrefois par les chanceliers de chaque consulat; le rôle des avoués par les avocats défenseurs; les avocats étrangers sont admis à plaider. Des huissiers, d’une race spéciale aux colonies, heureusement inconnue en France, sont arrivés en troupe serrée avec les agens d’affaires : sur ce point, les honnêtes gens n’ont qu’une voix, l’administration du protectorat doit accomplir une réforme que tout le monde n’ose pas réclamer, mais que tous désirent et dont l’état, le premier, doit prendre l’initiative : il faut remplacer au plus vite les huissiers en Tunisie par des fonctionnaires. Ceux-ci, recevant des appointemens fixes, n’ont pas intérêt à multiplier les procès, à allumer la guerre entre les Européens et les Arabes, à pousser une partie de la population contre l’autre, à entretenir dans le pays, aux dépens de tous et au détriment du trésor, qui, en fin de compte, en est appauvri, la défiance, la corruption, l’insécurité. Nous devons sauver la Tunisie de l’invasion des gens d’affaires; — Cette race si peu française, et qui nous est odieuse, nous la laissons, par complaisance ou par faiblesse, envahir l’Afrique