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procuré., et je conserve comme une preuve à l’appui la corde, plus solide que celle de sa vache, où ce malheureux fut pendu.

La nouvelle administration a fait fermer le plus possible de ces asiles, mais il en reste encore un bon nombre qui ne disparaîtront que peu à peu et qu’elle respecte dans une certaine mesure, quand le crime ne fait de tort qu’à des Arabes. — Tel est le rôle ingrat des organisateurs d’un protectorat : ils doivent tolérer des usages qu’ils condamnent et s’exposer à des critiques qui semblent très justifiées, plutôt que de bouleverser les coutumes du pays. Leur devoir est de modifier les lois, non pas toutes les fois que le besoin s’en fait sentir, mais quand ils peuvent en appliquer de meilleures. La justice arabe, telle que nous l’amendons peu à peu, surtout depuis que les Européens n’ont plus à comparaître devant les tribunaux indigènes en matière mobilière, fonctionne sous notre contrôle de façon peut-être à décevoir quelques rationalistes, mais aussi de façon à nous épargner bien des dépenses et des ennuis.


V.

Le véritable obstacle, celui qui devait disparaître au plus vite, avons-nous dit, c’étaient les tribunaux consulaires : comment nous a-t-il arrêté pendant plus de deux années? Combien de complications eussent été épargnées au gouvernement de la république si, comme l’Angleterre en Chypre et l’Autriche-Hongrie en Bosnie et en Herzégovine, en 1878, il avait pu les supprimer purement et simplement à partir du jour où l’occupation militaire était devenue un fait accompli ! Mais ce fait accompli, nous ne l’avons pas reconnu nous-mêmes dès le début ; nous ne prenions pas possession de la Tunisie, nous intervenions. Avec quelles intentions? on ne l’a pas su tout de suite. Pendant la première année qui a suivi l’entrée de nos troupes, après les événemens que l’on sait, il était assez naturel d’envoyer en Tunisie des régimens plutôt que des magistrats, et, en l’absence de tribunaux français, dans une ville de 120,000 habitans, dont une trentaine de mille Européens, comment pouvions-nous demander aux consuls de fermer les leurs? Les capitulations n’auraient pu être supprimées d’emblée que si nous étions entrés à Tunis après le congrès de Berlin ou avec un mandat des puissances. Or le tribunal français ne fut installé qu’en 1883; les négociations entamées avec les gouvernemens étrangers ne purent se poursuivre utilement qu’à dater de cette époque. Jusqu’au jour où elles aboutirent, on sait quel désordre. régna dans la régence, mais on ne se fait aucune idée des complications qui ont pu se produire ; on ne s’est douté ni en France ni ailleurs