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de notre continent, mais s’est affublé d’une nationalité d’emprunt pour échapper au droit commun. — De Constantinople à Beyrouth, à Alexandrie, à Tripoli, à Tunis, à Tanger, les Maltais, les Levantins, toute cette population de mercanti ou de vagabonds qui n’embellit pas les ports de la Méditerranée, jouissent de privilèges de toute sorte à l’égal des vrais Européens. Il est naturel que les indigènes soient tentés d’avoir leur part de ces privilèges quand ils les voient si généreusement distribués : un certain nombre d’entre eux, généralement les plus intrigans, s’adressent à celui des consuls qu’ils espèrent persuader pour être placés sous sa juridiction ; ceux qui réussissent sont déclarés protégés, c’est-à-dire que du jour au lendemain ils ne sont plus soumis à leurs juges naturels, qu’ils sont dispensés des impôts les plus lourds, exempts du service militaire, etc. Plus le gouvernement local s’affaiblit, plus les protégés se multiplient ; — ils étaient donc nombreux à Tunis. On le conçoit; mais on comprend moins l’intérêt qu’avaient les consuls à se mettre sur les bras de pareils cliens. Les uns agissaient par humanité et dans un dessein éminemment louable, comme ils auraient donné refuge à des victimes de la tyrannie, comme font nos missionnaires et nos agens dans l’extrême Orient, comme feraient des institutions de bienfaisance ; — Les autres par calcul : il entrait dans les attributions du consul d’une grande puissance, quand il voulait tenir son rang, de se montrer le plus possible aux indigènes comme un arbitre, un bienfaiteur, de les grouper, en un mot, autour de son pavillon de peur qu’ils n’allassent grossir la clientèle d’un consulat rival et lui donner la prépondérance. Mais on s’est aperçu peu à peu de ce que valait la prépondérance acquise par ce moyen : il arriva que les consuls des états qui entretenaient le moins de relations avec la Tunisie, ceux qui n’avaient pas un compatriote établi dans le pays, qui ne voyaient pas un vaisseau de leur nation en vingt années, devinrent les plus encombrans pour l’administration locale; ils remplaçaient leurs compatriotes absens par des protégés ; il n’était bruit que de leurs réclamations ou de leurs résistances. Un d’eux fut dénoncé à l’autorité militaire, soupçonné de vendre couramment sa protection aux Arabes pour les faire échapper à la conscription. Cet état de choses fut poussé à Tunis jusqu’au scandale, jusqu’au ridicule; la dignité du corps consulaire tout entier finit par en être atteinte ; un consul général étranger eut le courage de venir spontanément en aide au gouvernement beylical en réunissant les plus considérés parmi ses collègues et en leur signalant l’abus; — Tous reconnurent qu’il était temps d’y mettre un terme, et les agens peu scrupuleux que visait cette protestation, menacés d’être publiquement démasqués, durent s’amender.

L’institution de la protection, condamnée en principe dans l’Orient