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hostile aux expéditions coloniales; comment, en un mot, avons-nous transformé la Tunisie, sans autres ressources que celles que nous pouvions tirer de ses ruines : comment notre occupation devenue inévitable a-t-elle fait cesser l’anarchie et le déficit?

Je me servirai pour répondre à ces différentes questions de documens officiels, de renseignemens particuliers et enfin de mes souvenirs personnels, ayant connu la Tunisie dans son orientale décrépitude et assisté pendant les deux premières années de notre protectorat à sa régénération.


I.

Quand M. Cambon arriva à Tunis, le 2 avril 1882, à bord de l’Hirondelle, accompagné, pour tout personnel, de deux secrétaires d’ambassade, il n’apportait aucun plan arrêté, dicté de Paris à l’avance, imposé ou préconçu, mais il comptait à juste titre sur lui-même et sur l’entière confiance du gouvernement. Il trouva le pays occupé du nord au sud par notre armée, l’administration indigène paralysée par des ingérences souvent très justifiées, mais qui n’en rendaient pas moins presque impossible l’exercice d’un pouvoir régulier: d’une part, la commission financière internationale, représentant les créanciers du bey, obligeant la Tunisie à payer ses dettes tant bien que mal, mais ne lui laissant pas de quoi, vivre, de quoi payer ses fonctionnaires, entretenir ses chemins, ses ports, ses digues, ses édifices ; d’autre part, les consuls étrangers exerçant chacun un pouvoir souverain en faveur de leurs nationaux. Entre tant d’autorités diverses, chaque jour éclataient des conflits : les moindres affaires mettaient aux prises plusieurs juridictions différentes, l’exécution des jugemens restait indéfiniment en suspens. Le commerce, faute de confiance et de capitaux, se mourait; les habitans de la régence ne travaillaient plus pour s’enrichir, mais pour manger ; encore, une grande partie de la population, déjà décimée par la famine et les fléaux des années précédentes, s’était-elle enfuie en Tripolitaine.

La situation se présentait donc sous un aspect assez sombre à notre nouveau résident ; cependant, en l’examinant de près et avec sang-froid, elle ne lui parut pas désespérée On pouvait y porter remède, mais à la condition d’être très circonspect, modéré, éclectique, d’écarter toute idée de transformation radicale, en procédant un peu suivant la méthode des médecins d’aujourd’hui, qui comptent plus sur les soins, l’hygiène, que sur les médicamens, les saignées et se préoccupent avant tout de rendre peu à peu des forces à leurs malades, afin que le temps et la nature puissent exercer sur eux leur bienfaisante action.