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des fourneaux de mines qui sautaient et sous les nuages d’une fumée nauséabonde et noire dont les épais flocons rampaient lourdement sur le sol humide. Tout ce qu’il y avait de familles juives avaient supplié le maréchal de les prendre sous sa garde et de les emmener avec lui. Rien de plus pitoyable que ce nouvel exode, où les lamentations et les sanglots alternaient avec les chants bibliques. Beaucoup de ces malheureux succombèrent au froid, à la fatigue, à la faim. On vit encore une fois ce qu’on avait déjà vu, ce qu’on verra toujours, tant que se reproduiront ces tristes scènes d’abandon et de retraite, l’humanité, la compassion, le dévoûment du soldat pour ces misères, tout ce qui fut sauvé par lui, de femmes, d’enfans, de vieillards, pendant qu’il souffrait presque autant qu’eux lui-même. La pluie ne cessait pas ; le brouillard absorbait le peu de lumière qui filtrait à travers les nuages. Sur les pentes, les sentiers défoncés n’étaient plus que des torrens de boue. Les chameaux dont le pied charnu est fait pour s’étaler largement sur le sol ferme, glissaient dans la vase, tombaient, refusaient de se relever, ou roulaient dans les ravins avec leur charge. C’est ainsi qu’une quantité considérable de vivres fut perdue ou avariée. Quant aux troupes qui étaient restées dans la montagne avec le général d’Arlanges, leur sort, tout aussi lamentable, n’avait pas eu du moins pour compensation la gloriole d’une entrée à Mascara. Après deux jours d’efforts incessans pour faire avancer les pesantes voitures de l’artillerie et de l’intendance, à peine avaient-elles atteint le col d’El-Bordj, qu’un ordre du maréchal leur était venu de rétrograder jusqu’au débouché des gorges de l’Atlas. Dans cette colonne comme dans l’autre, les vivres se faisaient rares ; il n’y avait plus de distributions régulières et les hommes avaient gaspillé comme d’habitude leur approvisionnement de réserve. Ce fut dans ces tristes conditions que les deux fractions de l’armée se rejoignirent, le 10 décembre dans la soirée, auprès des marabouts de Sidi-Ibrahim.

Le lendemain, un jour éclatant dissipant les nuages faisait oublier toutes les misères et ramenait la distraction des coups de fusil. Mal chaussés, mal équipés contre le mauvais temps, les Arabes s’étaient à peine montrés pendant la retraite ; ils reparurent avec le soleil, mais peu nombreux, tiraillant à distance et peu soucieux d’affronter la mitraille. Enfin, le 12, l’armée atteignit Mostaganem. Dans les derniers jours, le soldat n’avait eu pour se nourrir que quelques poignées d’orge et des lambeaux de viande arrachés aux cadavres des chevaux et des chameaux qui jalonnaient la route. Après la fatigue, l’humidité, la mauvaise nourriture, la dysenterie vint naturellement à la suite et peupla les hôpitaux de nombreux malades ; quant aux pertes causées depuis le commencement de