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et de lieux-communs égalitaires, s’il parle le jargon du temps, c’est sans y croire ; les phrases à la mode sont pour sa pensée une draperie décente d’académie ou un bonnet rouge de club ; il n’est pas ébloui par l’illusion démocratique, il n’éprouve que du dégoût pour la révolution effective et pour la souveraineté de la populace. — A Paris, en avril 1792, au plus fort de la lutte entre les monarchistes et les révolutionnaires, il s’occupe à découvrir « quelque utile spéculation[1] » et songe à louer des maisons pour les sous-louer avec bénéfice. Le 20 juin, il assiste en simple curieux à l’invasion des Tuileries, et, voyant le roi à une fenêtre, affublé du bonnet rouge : « Che coglione! » dit-il assez haut. Puis aussitôt : « Comment a-t-on pu laisser entrer cette canaille ! Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec des canons, et le reste courrait encore. » — Le 10 août, au bruit du tocsin, son dédain est égal pour le peuple et pour le roi ; il court au Carrousel, chez un ami, et de là, toujours en simple curieux, «il voit à son aise tous les détails de la journée[2] ; » ensuite, le château forcé, il parcourt les Tuileries, les cafés du voisinage et regarde ; rien de plus : chez lui, nulle envie de prendre parti, nul élan intérieur jacobin ou royaliste. Même son visage est si calme qu’il excite maints regards hostiles « et défians, comme quelqu’un d’inconnu et de suspect. » — Pareillement, après le 31 mai et le 2 juin, son Souper de Beaucaire montre que, s’il condamne l’insurrection départementale, c’est surtout comme impuissante : du côté des insurgés, une armée battue, pas une position tenable, pas de cavalerie, des artilleurs novices, Marseille réduite à ses propres forces, pleine de sans-culottes hostiles, bientôt assiégée, prise, pillée; le calcul des chances est contre elle : « Laissez les pays pauvres, l’habitant du Vivarais, des Cévennes, de la Corse se battre jusqu’à la dernière extrémité; mais vous, perdez une bataille, et le fruit de mille ans de fatigues, de peines, d’économie et de bonheur devient la proie du soldat[3]. » Voilà de quoi convertir les Girondins. — Aucune des croyances politiques ou sociales qui ont alors tant d’empire sur les hommes n’a d’empire sur lui. Avant le 9 thermidor, il semblait « républicain montagnard, » et on le suit pendant quelques mois en Provence, « favori et conseiller intime de Robespierre jeune, » « admirateur » de Robespierre aîné liaison, elle reçut de Bonaparte, sous le consulat, une pension de 3,600 francs.) — Ibid. (Lettre de Tilly, chargé d’affaires à Gênes, à Buchot, commissaire aux relations extérieures.) — Cf. dans le Mémorial, le jugement très favorable de Napoléon sur Robespierre.[4], lié à Nice avec Charlotte Robespierre. Aussitôt

  1. Bourrienne, Mémoires, I, 27. — Ségur, I, 445. En 1795, à Paris, n’ayant point d’emploi militaire, Bonaparte ébauche plusieurs spéculations commerciales, entre autres une entreprise de librairie qui ne réussit pas. (Témoignage de Sébastiani et de divers autres.)
  2. Mémorial, 3 août 1816.
  3. Bourrienne, I, 171. (Texte original du Souper de Beaucaire.)
  4. Yung, II, 430, 431. (Paroles de Charlotte Robespierre. — En souvenir de cette