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un croquis de maître d’après une des parties élégantes de la société parisienne. — Quelle partie? demandent beaucoup de voix. — Ce ne sont pas ici, je le crois volontiers, les mœurs et les façons du Marais ou de la Cité ; ce ne sont pas non plus, j’y consens, celles de l’arrière-région du faubourg Saint-Germain ; mais ce pourraient bien être celles des Champs-Élysées. Il va sans dire que je fais de la topographie par à-peu-près et que je parle au figuré : en fait, on n’a pas toujours le quartier qu’on mérite. De l’Arc-de-Triomphe à la place Louis XV et du Cours-la-Reine au boulevard de Courcelles, c’est là pourtant que Francine, comtesse de Riverolles, et Thérèse, baronne Smith, ont le plus de chance de se rencontrer; c’est là que se pressent vraisemblablement autour d’elles, — autour de la première surtout, qui est la plus jeune, la mieux titrée, sans être la moins riche, — Ces hommes plus ou moins brillans, mais également oisifs, parmi lesquels le mari ne veut être qu’un camarade privilégié ou seulement breveté, ces familiers pour qui Francine, aussi bien que pour son époux, s’appelle Francillon plus souvent que madame de Riverolles. C’est là, en effet, le rendez-vous des gens de loisir, qui veulent être des gens du bel air : à la Montée du Marais! à la Descente du faubourg Saint-Germain! et aussi à l’Arrivée des parvenus de Chicago! Dans ce district parisien, la vertu est moins rare encore que la pudeur. Il s’y trouve d’honnêtes femmes, et d’une honnêteté justement plus éprouvée qu’ailleurs; mais le jargon qu’elles entendent et même qu’elles parlent, souvent mêlé d’argot, brave un peu l’honnêteté. Les manières qu’elles permettent aux hommes dans un commerce quotidien avec elles, leurs manières à elles-mêmes, scandaliseraient quelquefois une provinciale vicieuse. C’est que, par le va-et-vient de ces hommes, il se fait d’insensibles échanges entre le monde où l’on est censé s’amuser et celui où l’on ne veut pas s’ennuyer: ils emportent du premier au second des germes d’infection des mœurs, et ce n’est pas en passant par le club, où ils font quarantaine en quarante mille points de bézigue, qu’ils pourraient se désinfecter. Aussi bien, chez le couturier, chez la modiste, au Bois, au cabaret en vogue, au café-concert, au théâtre, celles qui naguère, les jours de courses, auraient régné toutes seules dans la gloire du « pesage « et celles qui seraient restées dans les ténèbres extérieures, se coudoient aimablement. Du train dont va le monde, bientôt des fiançailles élégantes, au lieu de se faire à l’Opéra-Comique, se feront au Chat Noir. En attendant, on renvoie les jeunes filles dans leur chambre après qu’elles ont servi le thé : car les hommes, ainsi que le dit l’une d’elles chez M. Dumas, « s’ils ne sont pas inconvenans, sont ennuyeux. » Fâcheuse alternative! Il est vrai que, parfois, ils sont ennuyeux et inconvenans. Tels quels, pour les garder, — Et, dans le nombre, il se trouve des maris, et des maris aimés, — pour les tenir.