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pour trouver que cette accusation est fausse. Ils le trouvent, en effet, s’écrient-ils alors, tous en chœur : « Tant pis! » Et elle, rougit-elle de sa faiblesse? Gémit-elle : « Excusez-moi, ô femmes! j’ai laissé dépérir votre droit. Je me suis glorifiée d’un acte de justice supérieur à mon courage; apparemment j’étais trop jeune : pardonnez, pour cette fois! » Mais non, rien de semblable. Que deviennent donc les griefs dont je parlais tout à l’heure? Où portent les coups de lance de ce critique bénévole qui s’appelle légion, et qui pourrait s’appeler don Quichotte y La Palice? Il serait rigoureux, je pense, de poursuivre Racine pour excitation à l’assassinat parce qu’il a permis que Roxane fît tuer Bajazet; mais supposez qu’elle ne l’ait pas fait tuer; qu’elle ait voulu seulement, par une feinte sentence, lui faire peur, et à nous aussi; qu’il reparaisse, à la fin, bien vivant, et que tout le sérail, avec Roxane elle-même, s’en réjouisse, qui aura l’idée de condamner Racine? M. Dumas est acquitté.

S’il y a une moralité précise à tirer de cette histoire, elle est toute simple : il est fâcheux que de nos jours, à Paris, dans une partie du monde élégant, l’état des mœurs soit tel qu’une honnête femme, instruite de la trahison de son mari et désireuse de la punir par quelque moyen, puisse choisir de simuler la conduite d’une fille. Aussi bien cette moralité, — si c’en est une, — Est à peu près celle qu’énonce le beau-père de l’héroïne; et si quelque personnage, en quelque endroit de cette comédie, parle expressément au nom de l’auteur, c’est bien lui et dans ce passage : la preuve, c’est qu’il y parle contrairement à son caractère. C’est donc à cette pensée qu’il faut se tenir, à moins qu’on ne veuille, par surcroît, extraire celle-ci : dans le mariage, il est prudent de ne pas trop demander à l’amour. Voyez l’héroïne : pour avoir voulu vivre avec son mari comme une maîtresse bien éprise, elle manque d’aboutir à une catastrophe. A ses côtés, voyez, d’une part, sa raisonnable amie : elle est mère, son mari est bon père, elle est satisfaite ; ce ménage est heureux. Voyez, d’autre part, sa petite belle-sœur : elle épouse, à dix-sept ans, un paisible garçon de quarante-deux, qui l’avertit que la femme, une fois la maternité obtenue, doit être « indulgente à l’homme et reconnaissante à Dieu. » La leçon de modération que nous donne M. Dumas par ces exemples n’a rien d’une doctrine horrifique. Pour le coup, ne cherchons pas plus loin; ne suivons pas les mauvais plaisans qui prétendent apercevoir des conclusions exactement contraires : l’auteur, par l’aventure de Francillon, aurait voulu montrer qu’une femme bien amoureuse doit souhaiter de n’être pas mère et surtout éviter d’être nourrice. Il est vrai que, sans ces traverses, une si charmante personne n’eût pas vu son mari se déshabituer d’elle et la trahir sitôt. Mais la théorie serait impertinente, et il serait superflu de la propager : à vrai dire, même, si quelque