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dura leur union, l’influence qu’exerce plus ou moins toute femme, mais qui n’eut ni le goût ni l’intelligence d’un rôle plus actif, qui garda jusqu’au dernier jour, en présence du maître, et sauf peut-être sur l’article de la religion, la timidité, la déférence, la soumission d’une épouse subalterne ; et une femme dont l’histoire, enfin, eût à peine plus parlé que de Mme de Montespan ou de Gabrielle d’Estrées, si ses ennemis de cour, à force d’entasser les calomnies sur elle, n’avaient eux-mêmes fait croire à sa puissance et à son action.

C’est pourquoi, dans l’histoire générale du règne, et à mesure que l’on y regardera plus attentivement, on fera sans doute la part de plus en plus étroite à Mme de Maintenon. On reconnaîtra que la Palatine, que Saint-Simon, que La Beaumelle l’ont calomniée, mais qu’en la calomniant, et par la nature même de leurs calomnies, ils l’ont grandie démesurément. C’étaient des contemporains, puisque enfin trente ans s’étaient à peine écoulés depuis la mort de Mme de Maintenon quand La Beaumelle écrivait son histoire ; ils avaient les oreilles encore pleines du bruit qu’elle avait fait dans le monde, à la cour, dans cette cour qui pour eux était toute la France ; les deux premiers au moins ne lui pardonnaient pas, à « la chétive veuve, » d’avoir été portée plus haut par la fortune qu’aucun Saint-Simon et que plusieurs Wittelsbach. Mauvaise condition pour en écrire l’histoire, pour apprécier ses actes à leur importance, pour démêler autour de soi le principal d’avec l’insignifiant, le réel d’avec l’imaginaire, et le vrai d’avec le faux. Nous, cependant, qui n’avons point leurs rancunes, écrirons-nous toujours comme si nous les partagions ? Nous n’en aurions pas le droit, même s’il ne s’agissait dans la question que de la bonne renommée de Mme de Maintenon ! Mais quand il y va de trente-cinq ans d’histoire, — Et de quelle histoire ! — il y a quelque chose de médiocrement généreux à faire peser tout entière, sur une malheureuse femme, la responsabilité de nos malheurs ; à lui reprocher Oudenarde et Ramillies, quand d’ailleurs on ne lui sait gré ni de Steinkerque ni de Staffarde ; et surtout quand à côté d’elle on trouve pour en répondre un roi qui fut aussi résolument, aussi pleinement, et aussi courageusement roi que Louis XIV.


F. BRUNETIERE.