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et funeste. Deux choses lui manquaient pour le rôle qu’elle eût pu prendre et que l’on veut qu’elle ait tenu : la netteté de la conception, la promptitude et la fermeté de la décision; d’ailleurs elle n’a point fait de mal, et, avec un peu d’indulgence, on pourrait dire qu’elle a fait du bien.

En réalité, sa grande affaire, ou plutôt sa seule affaire, c’est la maison de Saint-Cyr. Elle s’y noya, si nous voulons en croire Saint-Simon, lequel ne s’aperçoit point qu’en la montrant ainsi perdue dans cette « mer d’occupations infinies, » il lui ôte lui-même, pour ainsi dire, le temps de l’intrigue et de l’ambition. On a beaucoup loué, depuis quelques années, dans Mme de Maintenon, l’honnête, habile et persévérante éducatrice, et le fait est que, si jamais elle a aimé quelque chose ou quelqu’un, c’est l’enfance et c’est l’enseignement. Elle a passionnément aimé le duc du Maine, autant du moins que ce mot convienne à sa façon d’aimer, et la dernière lettre qu’on ait d’elle, où l’une des dernières, de 9 février 1719, est pour demander des nouvelles du prince, compromis dans la conspiration dite de Cellamare et enfermé récemment à Doullens. « On dit que la citadelle est horrible ! » s’écrie-t-elle, et ce cri, de sa part, a quelque chose de maternel et de presque touchant. Au surplus, devenue presque reine, on la voit qui continue de s’occuper d’enfans. et non-seulement de ses nièces, Mlle de Mursay ou Mlle d’Aubigné, mais des enfans naturels que son frère lui adresse avec un sans gêne qui pourrait bien avoir ressemblé à de l’impertinence, et d’orphelines et d’orphelins, qu’elle élève, qu’elle marie, qu’elle dote. Elle n’aime pas moins l’enseignement, et nulle part, sans aucun doute, elle ne s’est sentie plus à l’aise qu’au milieu des religieuses et des jeunes filles de Saint-Cyr, dans ces Entretiens, dont leur reconnaissance nous a pieusement conservé le texte, et où Madame mêle à la fois son goût de moraliser et le plaisir orgueilleux de se donner elle-même en exemple de ses leçons! Ce n’est pas ici le lieu de traiter de Saint-Cyr. Il est bon seulement de remarquer que l’on ne saurait avec quelques-uns en faire « une œuvre immense;» et moins encore penser avec quelques autres qu’il y allât de « réformer » ou «renouveler» la noblesse, et la nation par la noblesse. De telles visées eussent passé Mme de Maintenon, à la fois comme trop hautes et comme trop chimériques. Mais elle se souvenait de sa jeunesse, elle se rappelait dans la fortune la misère de son enfance, les soupes qu’elle avait mendiées à La Rochelle, à la porte des Jésuites, les dindons de sa tante de Neuillant, qu’un masque sur le nez et une gaule en main, elle s’en allait paître sur les grand’ routes, et le triste logis de la rue des Tournelles, et la maison de Scarron, et les insultes des fats, et tant de petites humiliations dévorées, et sa longue servitude sous Mme de Montespan ; et Saint-Cyr est né de