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donc bien s’en laisser mettre; elle peut avoir donné quelques conseils à Louis XIV, quand il daignait lui en demander ; elle peut lui avoir persuadé quelques choix; et les ministres, de leur côté, avant d’ouvrir un avis, peuvent bien s’être enquis du sien, avoir tâché de le deviner et de s’y conformer. Mais ce que l’on peut dire avec plus de certitude encore, c’est qu’elle n’intervint jamais d’une façon vraiment personnelle, qu’elle n’essaya jamais d’imposer à Louis XIV un plan de politique ou de guerre, que son action enfin fut trop insignifiante pour qu’on puisse l’en louer ou la lui reprocher. Et si l’on prouvait quelque jour qu’elle a été plus longtemps, mais moins activement mêlée aux grandes affaires que Mme de Montespan, je n’en serais pas étonné. Les affaires passaient trop sa portée pour qu’elle y pût chercher une distraction et encore moins un remède à son ennui.

Les affaires religieuses l’ont sans doute plus vivement intéressée, et cependant on n’y voit pas non plus très bien son influence. Elle est ici tout entière dans la main de ses directeurs spirituels, et elle obéit docilement aux impulsions qu’on lui donne. Sincèrement pieuse, nullement prude, moins dévote et moins superstitieuse à tous égards que Louis XIV, elle n’est d’ailleurs nullement théologienne. Elle incline au quiétisme quand Fénelon l’y entraîne, elle incline au jansénisme sous l’impulsion du cardinal de Noailles; elle se déprend également, et subitement, du jansénisme et du quiétisme sur un froncement de sourcils du roi. Mais elle s’intéresse aux questions de personnes, et visiblement elle aime à faire des abbés, des curés, des évêques. C’est à elle, notamment, que M. de Noailles doit le siège de Paris, et Fénelon celui de Cambrai. Elle aime aussi à négocier des compromis, des arrangemens, des raccommodemens, à réconcilier les amours-propres, et si elle le pouvait, par le rapprochement des personnes, à éteindre les haines théologiques. Que voit-on là qui passe la portée de son sexe, ou qui ne soit naturellement de son rôle? On serait, en vérité, trop exigeant de vouloir qu’une femme de son âge, et dans sa situation, ne se fût uniquement occupée que de bagatelles pieuses, comme de murmurer ses patenôtres, ou de broder des nappes d’autel. C’est bien assez qu’elle ait mis, non-seulement dans ses directeurs, l’abbé Gobelin ou Godet des Marais, non-seulement dans son évêque, mais encore jusque dans le curé de sa paroisse une confiance qui s’étend même aux choses qui ne les regardent point, et dont aussi bien quelques-uns ne se montrèrent pas toujours dignes. Et l’on peut dire sans doute qu’on la trouve en ceci toujours conforme à elle-même, prenant les choses par le petit côté, scrupuleuse et tatillonne, mais non pas lui reprocher d’avoir exercé dans les affaires religieuses une réelle et active influence, et bien moins encore, là où l’on saisit les traces de cette influence, prétendre qu’elle s’y soit montrée dangereuse