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que l’on n’en saurait trop avoir, quand on est pauvre, à peine sûre du lendemain, incertaine et effrayée de l’avenir. Je dis seulement qu’à moins que la fortune ou les dieux ne s’en mêlent, ce ne sont point là des façons à conquérir les trônes ; on ne regarde point aussi haut quand on est aussi peu romanesque; mais en revanche, il est vrai, chaque avantage nouveau que l’on acquiert, on s’en empare fortement, et quand on le tient bien, on ne le lâche plus.

Il n’en faut pas davantage pour anéantir le scandaleux roman des amours de Mme de Maintenon, la prétendue lettre de Ninon, les calomnies odieuses de Saint-Simon. Qu’avec des sens aussi calmes, une raison aussi épurée, tant à perdre par une seule imprudence, et rien à y gagner, une telle femme ait pu risquer, pour obliger un fat, toute une vie de prudence, on ne le conçoit seulement pas. Mais comment le croire un instant, si l’on ajoute que le seul sentiment un peu vif, ou même passionné qu’elle semble avoir jamais eu, c’est celui de l’honneur, de « la bonne gloire, » ainsi qu’elle disait, le besoin et la soif de la considération ? « J’ai une morale et des inclinations qui font que je ne fais guère de mal, écrivait-elle en 1680 à l’abbé Gobelin, son directeur. J’ai un désir de plaire et d’être estimée qui me met sur mes gardes contre toutes mes passions. » L’honneur du monde, c’est sa passion à elle, comme à d’autres l’amour, l’ambition, l’avarice ou le jeu; c’est sa raison d’être, si l’on peut ainsi dire, c’est son seul motif de vivre; et auquel même on peut lui reprocher d’avoir trop sacrifié, jusqu’au point de gérer sa vertu comme un placement, — ou du moins d’en avoir eu l’air. Que si, cependant, c’était en elle un trait de sa nature plutôt qu’un effet du calcul ; si peut-être elle avait besoin de l’estime du monde comme nous voyons que d’autres ont besoin de l’admiration ou de l’étonnement de leurs semblables, est-ce vraiment un reproche à lui faire ? et quand elle vit que sa vertu devenait l’instrument de sa fortune, pourquoi veut-on quelle eût repoussé sa fortune ou abdiqué sa vertu? Mais elle n’avait pas fait vœu d’être une sainte, encore bien moins de persévérer dans une condition subalterne, et quand l’occasion se présenta d’en sortir honorablement, elle en sortit.

Car c’est ainsi qu’elle supplanta Mme de Montespan. Celle-ci émit une autre femme, intelligente et vicieuse, hardie, passionnée, vindicative, dont l’amour depuis longtemps avait lassé Louis XIV, et qui pourtant le dominait toujours. Les rois sont comme les autres hommes : ils n’aiment pas les femmes qui font des scènes. Quand Mme de Maintenon fut une fois entrée dans la confidence du maître et de la favorite, quand son dévoûment aux enfans qu’elle avait accepté d’élever eut corrigé la première et assez peu favorable impression qu’elle avait produite sur le roi, quand enfin Louis XIV eut pu faire la comparaison