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imaginations. Avec les qualités de Mme de Maintenon, qui ne brillaient pas en surface, qui n’enfonçaient point non plus en profondeur, mais qui sont d’usage, on fixe la fortune, on la retient quand elle vous est venue, on ne la prépare point, et dans quelque situation que le destin vous mette, on n’y est jamais déplacé, mais jamais non plus on ne l’égale tout entière. Entre la situation de Mme de Maintenon triomphante et ses qualités naturelles, il y eut toujours comme un écart ou un intervalle, et ses historiens l’ont comblé, mais aux dépens de la vérité. C’est eux qui, dupes d’elle-même bien plus encore que Louis XIV, lui ont prêté, pour l’injurier, l’astucieuse profondeur de leurs propres calculs, et qui se sont appris à détester en elle la créature ou le fantôme de leur imagination échauffée.

Une seule observation suffirait à ruiner l’échafaudage de leurs hypothèses. Qui pouvait prévoir, en 1683, la mort prochaine de Marie-Thérèse, femme de Louis XIV ? et, Marie-Thérèse vivant, quel pouvait être le dessein de Mme de Maintenon? Mais j’aime mieux l’étudier en elle-même, et, sa nature étant ce que l’on vient de dire, j’aime mieux ajouter que l’expérience en elle avait confirmé la nature. Elle avait près de cinquante ans quand le roi l’épousa : une femme de cet âge, « qui n’a jamais été mariée, » comme elle le dit elle-même dans une curieuse lettre à son frère, qui n’est pas mère, qui n’a pas de famille à gouverner, peut bien vivre dix ans, vingt ans, trente ans encore, devenir centenaire; elle a vécu beaucoup plus de la moitié de sa vie. Or, quelles leçons la vie lui avait-elle données? Née dans une prison, durement élevée par une mère qui n’avait pas elle-même beaucoup d’obligations à la vie, encore plus durement traitée dans son couvent, introduite dans le monde par sa tante. Mme de Neuillant, sur le pied de parente pauvre, ridiculement et indécemment associée, dans sa dix-septième année, au poète Scarron, Françoise d’Aubigné, de bonne heure, avait surtout appris à se défier de la vie et des hommes, à borner ses ambitions, et comme à se retrancher, pour offrir moins de prise aux coups de la fortune, dans les longs espoirs et les vastes pensées. Devenue veuve, elle ne songea qu’à se mettre à l’abri du besoin ; et pendant vingt ans, en effet, ici et là, chez les Montchevreuil ou chez les d’Heudicourt, on ne la trouve occupée que de l’unique désir d’améliorer sa mince condition : ce mot bourgeois lui convient à merveille. D’ailleurs, elle y procède avec sa prudence habituelle, son sens pratique, sa lenteur, son adresse vertueuse, son ambition tenace mais courte, ne donnant rien au hasard, mais n’entreprenant rien aussi que d’immédiat, de prochain, de successif. Elle vit tout entière dans le moment présent. Modeste avec cela, complaisante, prompte et habile à rendre service, elle contracte autour d’elle des amitiés sérieuses et utiles, non point avec aucune intention précise de s’en servir ou de les faire agir, mais parce