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inventant de son cru tout entières, a si bien achevé d’accréditer la légende et d’embrouiller le sujet, que personne, depuis lui, n’a pu réussir à dissiper l’une ou à éclaircir l’autre. C’est en vain que Voltaire, qui connaissait la Beaumelle, qui connaissait aussi, par fragmens tout au moins, les Mémoires de Saint-Simon, qui connaissait la cour, s’est efforcé de rétablir la vérité de l’histoire. En vain, depuis Voltaire, le duc de Noailles, qui lui-même y avait un intérêt direct, les a pris tous les trois tour à tour, la princesse et le pamphlétaire, le pamphlétaire et le duc et pair, en flagrant délit de mensonge. Et vainement enfin, de nos jours, l’honnête Lavallée, dans son édition de la Correspondance, — incomplète malheureusement, et encore plus confuse qu’incomplète, — a vingt fois convaincu La Beaumelle d’infidélité, d’erreur ou de faux même. Rien n’y a fait; on les a lus ou on ne les a pas lus, et l’on a continué, comme avant Lavallée, le duc de Noailles et Voltaire, d’écrire non-seulement l’histoire de Mme de Maintenon, mais celle de trente-cinq ans de règne, sur la parole de La Beaumelle, de la Palatine et de Saint-Simon.

M. Geffroy, qui reprend aujourd’hui la question, sera-t-il plus heureux que ses prédécesseurs? les deux volumes qu’il nous donne triompheront-ils de cette obstination dans l’erreur ou dans la mauvaise foi? et Mme de Maintenon, si souvent jugée sur de faux témoignages, le sera-t-elle une fois enfin comme tout le monde, sur ses actes et sur ses écrits? Nous l’espérons sans oser en répondre; car, si l’on sait comment le mensonge et la calomnie s’insinuent dans l’histoire, on ne sait quand ni comment ils en sortent. Mais ce que nous pouvons toujours dire, c’est que quiconque lira ces deux volumes y prendra de Mme de Maintenon une idée assez différente de celle que l’on est convenu de s’en faire. Ce n’est pas une histoire de Mme de Maintenon : M. Geffroy, sans doute, aura pensé qu’elle se confondrait trop avec l’histoire générale du règne. Ce n’est pas non plus une édition critique de la Correspondance entière : ni le temps n’en est encore venu, ni peut-être une pareille édition ne rendrait les services que l’on croit. Ce n’est qu’un simple Choix de ses Lettres et Entretiens, mais un choix qui s’étend à la vie tout entière de Mme de Maintenon, de 1648 à 1719; un choix qui n’a laissé dans l’ombre aucun endroit vraiment intéressant de cette longue existence; et, nous pouvons ajouter, un choix que nous n’eussions désiré ni plus discret, ni plus abondant, mais précisément tel qu’il est. Toutes les lettres, d’ailleurs, ont soigneusement été collationnées sur les originaux; quelques-unes paraissent ici pour la première fois, quelques autres, publiées dans des recueils peu répandus, auront, pour beaucoup de lecteurs, tout l’intérêt et le prix de l’inédit; enfin, des notes nombreuses ne laissent rien subsister d’obscur ou de douteux dans le texte. Nous n’avons