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porcine, mais qu’après tout c’était une juste punition ; qu’enfin trois démons dans chaque pourceau sont un moindre mal que six mille dans un seul homme ; car... etc. Deux évêques prièrent Smalbroke de supprimer, dans l’intérêt de la cause, ce triomphal argument : il refusa.

Le débat sur les miracles se relève avec Hume. Ce vrai penseur, le plus grand du siècle en Angleterre, le premier du siècle après Kant, a soumis la méthode, les preuves et les dogmes de la religion naturelle à une critique qui, pour la profondeur, ne le cède guère à celle du philosophe de Kœnigsberg ; mais je ne veux parler ici que de son célèbre arguaient contre les miracles, si souvent discuté et récemment encore, par Stuart-Mill. L’argument, à vrai dire, n’a pas toujours été bien compris, et M. Leslie Stephen en détermine avec beaucoup de justesse le sens et la portée. Hume ne nie pas la possibilité a priori du miracle. Il n’est pas contradictoire qu’un être tout-puissant, extérieur au monde et auteur de l’ordre qui s’y manifeste, puisse arbitrairement changer ou suspendre les lois qu’il a lui-même établies. Hume conteste seulement qu’en fait nous puissions jamais avoir la preuve expérimentale d’un miracle. Car cette preuve est toujours fondée sur le témoignage des hommes et, dit Hume, nous pouvons toujours nous demander lequel est le plus croyable : ou que les témoins nous trompent (volontairement ou non), ou qu’un événement se soit produit en opposition formelle avec le cours de la nature tel que l’expérience l’a toujours constaté. En d’autres termes, un fait miraculeux est un fait singulier, unique, contraire à toute induction légitime. Il est donc toujours plus légitime d’induire des témoignages mêmes sur lesquels se fonde la croyance au miracle, qu’ils sont trompeurs, car ce n’est pas un fait unique et miraculeux que les hommes se trompent ou nous trompent. L’induction légitime est donc toujours en faveur de l’illusion ou de l’imposture des témoins.

On peut, il est vrai, soutenir qu’il n’y a pas, à proprement parler, de miracles, et que les faits qualifiés tels manifestent seulement des lois de la nature encore inconnues. Mais, en ce cas, ils n’ont plus aucune valeur comme preuves d’une religion révélée. Il y faut des événemens que la toute-puissance produise directement, non-seulement sans l’intermédiaire d’aucune loi naturelle, mais en contradiction irrécusable avec toutes les lois connues, et le dilemme subsiste : ou le fait n’est pas proprement miraculeux, et alors il ne prouve rien ; ou il est prétendu miraculeux, et alors il est impossible de prouver qu’il le soit.

On cherche vainement ce qu’on pourrait répondre. Tout effort pour établir historiquement l’authenticité des miracles, et, par elle, la vérité de la révélation, toute tentative analogue à celle de Pascal