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moins éloignée du déisme purement philosophique que la théologie catholique. Toland, à vrai dire, n’avait fait que tirer en toute rigueur des conséquences implicitement contenues dans des ouvrages qui n’étaient nullement suspects, ceux de Clarke, par exemple. Nous ne suivrons donc pas M. Leslie Stephen dans son intéressante revue des adversaires de Tindal : Foster, Conybeare, Leland. Ils dorment aujourd’hui dans un oubli mérité. Pourtant, toutes leurs objections ne sont pas méprisables. — La justice, disait Tindal, obligeait Dieu à donner à tous la vérité qu’il n’a révélée qu’à quelques-uns. — C’est là, lui réplique-t-on, une question non de droit, mais de fait. On pourrait supposer de même qu’il devait faire de tous les hommes de bons logiciens ; niera-t-on qu’il y ait des esprits absurdes et insensés ? Les hommes peuvent avoir, en principe, des droits égaux en face de Dieu (voilà déjà les droits de l’homme !); en réalité, ils sont inégaux. Qui vous assure que Dieu n’avait pas de bonnes raisons pour établir cette inégalité ? — Pourquoi, objecte-t-on encore à Tindal, Dieu n’aurait-il pas établi quelques prescriptions qui, sans avoir un caractère précisément moral, auraient pour ceux qui les observeraient une utilité que nous ne pouvons apercevoir ? Et en admettant qu’elles soient indifférentes, est-il indifférent que l’homme soit mis en demeure de témoigner son obéissance à la volonté souveraine ? Des ordres arbitraires mettront d’autant mieux à l’épreuve la soumission de la créature au Créateur, et cette soumission c’est la piété même. Enfin, il n’est pas sûr que la loi naturelle soit par elle-même si manifeste à la raison. Les principes de la morale peuvent être évidens et certains pour tous les hommes : les règles particulières et pratiques ne sont pas toujours faciles à déduire. Le code des devoirs, même en ce siècle de lumières philosophiques, est loin d’être fixé. La révélation peut être nécessaire pour affirmer, avec une autorité surnaturelle, là où l’esprit humain, livré à lui-même, ignore ou hésite. Rien ne prouve, par exemple, que le suicide fût aujourd’hui regardé universellement comme un crime si la loi positive de Dieu ne nous l’eût interdit.

Parmi les adversaires de Tindal, une place d’honneur est due à William Law. Sa Réponse a un ton de sincérité et comme un accent religieux qu’on cherche vainement chez les autres, plus préoccupés, semble-t-il, de mériter un évêché ou un bénéfice que de défendre la cause de Dieu. Law reproduit l’agnosticisme de Browne, mais avec une originalité qui touche à la profondeur. Le déiste parle des devoirs de Dieu envers tous les hommes, comme s’il y avait une communauté de nature entre Dieu et nous ! Les orthodoxes répliquent en invoquant les droits de Dieu, mais Dieu n’est pas un roi constitutionnel exerçant certaines prérogatives dans les limites d’un ordre de choses qu’il n’a pas fait. En vérité, des deux parts, c’est