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du zèle qui anime tout chrétien pour sa foi. » Voilà une charité qui aurait pu coûter cher à Toland si elle eût été partagée par le roi et ses ministres. Heureusement, le bras séculier, depuis la révolution de 1688, restait généralement sourd aux objurgations de cette nature. Browne y gagna pourtant l’évêché de Kork, et il eut, dit-on le bon goût de reconnaître que le pauvre Toland, en lui fournissant le sujet de ses pieuses invectives, avait été pour quelque chose dans son élévation.

Mais les injures, la haine théologique pour les libres penseurs, ne sont pas des raisons. Il en fallait à Browne, et il les trouva dans une doctrine qui refuse, en matière religieuse, toute compétence à la raison. S’il n’inventa pas l’agnosticisme, il lui fit une sorte de popularité parmi les orthodoxes. Il publia, en 1728, sous le titre de : Procedure Extent and Limits of Human Understanding, un livre qui, s’il avait rempli son programme, aurait rendu inutile la Critique de la raison pure. Mais Browne n’a pas de telles ambitions ; il ne voit que les besoins de sa polémique avec les ennemis de la révélation. Sa stratégie, dangereuse peut-être, ne manque pas d’habileté. En face de la raison, la situation du théologien est délicate. Tolérera-t-il son concours pour la démonstration des vérités de la foi? Il peut craindre qu’elle ne prétende bientôt à dominer, à décider toute seule : intellectus quœrens fidem. Songera-t-il à se passer d’elle entièrement? Comment faire accepter aux hommes des vérités qu’on déclare inconcevables et de tout point étrangères à la raison? Voilà la porte ouverte à un scepticisme qui, de proche en proche, risque d’engloutir les croyances mêmes qu’on avait prétendu mettre sous sa garde. On aura beau faire, ce sera toujours une mauvaise recommandation pour la vérité que d’être présentée comme l’inintelligible pur. Le Credo quia absurdum n’est qu’une boutade ou un défi. Faisons donc la raison ouvrière de sa propre abdication en matière de choses divines. Qu’elle nous démontre que, dans cette sphère supérieure, elle ne peut rien démontrer. Que de l’analyse de nos facultés il ressorte avec évidence que nous ne pouvons rigoureusement rien connaître de Dieu, de sa nature, de ses attributs. Alors il sera prouvé que l’orthodoxe ne fait pas moins usage de la raison que le rationaliste; mieux encore : seul, il en fait bon usage, puisqu’il sait y renoncer là où elle cesse, par sa constitution même, de voir clair.

Déjà avant Browne, l’archevêque de Dublin, King, dans un sermon sur la Prédestination, prêché en 1709, déclarait que si nous pouvons attribuer à Dieu la sagesse et la prescience, ce n’est que « par voie de ressemblance et d’analogie ; » analogie lointaine dont on ne peut tirer aucune connaissance positive, pas plus que « de la ressemblance entre une contrée et la carte de cette contrée on n’aurait le droit de conclure que cette contrée est en papier. » C’est,