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La question de l’eau potable est la première qui s’impose à toute société qui commence ; parce que l’eau est, après l’air atmosphérique, le premier besoin de tous les êtres vivans. C’est afin de le satisfaire que la plupart des villes et des villages se sont établis le long des fleuves, des rivières et des ruisseaux. Ces cours d’eau suffisaient au début pour atteindre le double but dont je parlais tout à l’heure. Ils apportaient aux familles groupées sur leurs bords le liquide indispensable à tous les usages de la vie, et emportaient en même temps tout ce dont les habitans avaient besoin de se débarrasser. Lorsque la population vint à s’accroître, lorsque ces petits centres se multiplièrent le long d’un même ruisseau, ce dernier ne tarda pas à se trouver insuffisant pour remplir son double office. Le village le plus rapproché de la source fut bientôt le seul à pouvoir en jouir sans inconvénient ; ceux qui étaient au-dessous m’eurent plus qu’une eau d’une pureté douteuse, et les derniers furent encore plus mal partagés. Cette dépendance existe encore dans bien des campagnes. Le même ruisseau alimente successivement plusieurs villages ; dans l’intervalle qui les sépare, il fait mouvoir des moulins et reçoit parfois les eaux résiduaires des usines situées sur ses bords. Or il est aujourd’hui reconnu que les germes des maladies infectieuses sont surtout transportés par les eaux. Des enquêtes multipliées sur la façon dont la fièvre typhoïde se propage l’avaient déjà prouvé; la dernière épidémie de choléra en a donné la démonstration d’une manière plus éclatante encore. On a pu suivre l’évolution de la maladie pas à pas; on l’a vue se propager, de village en village, en suivant la direction des cours d’eau dans des délais proportionnés à leur vitesse. Dans son remarquable rapport du 14 octobre 1884 à l’Académie de médecine, M. Marey en a cité un si grand nombre d’exemples, que le fait peut être considéré comme hors de doute. Ce ne sont pas seulement les villages qui sont exposés à recevoir le choléra de cette manière; de grandes villes l’ont parfois puisé à la même source. C’est ce qui est arrivé à Gênes pendant l’épidémie de 1884. Une semaine avant que la maladie y éclatât, elle régnait dans les environs et notamment à Bussola. Ce village est situé sur une petite rivière, la Scrivia, dans laquelle les femmes viennent laver le linge. Or ce cours d’eau alimente un des aqueducs de la grande ville, le conduit Nicolaï, et on remarqua dès le début de l’épidémie qu’elle ne régnait que dans les quartiers alimentés par cet aqueduc. On ne tarda pas à en reconnaître la cause ; on ferma le canal Nicolaï, et une amélioration des plus sensibles se manifesta sur-le-champ. Dans un très grand nombre de villes, l’eau des puits est contaminée par les fosses et les puisards qui plongent comme eux dans la