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suivant les conseils de l’hygiène, coûtent beaucoup plus cher que le revenu de la somme qu’il faudrait dépenser pour s’en garantir. C’est donc, ainsi que je le disais, de l’argent placé à gros intérêts. Ce n’est pas une raison pour ne pas apporter la plus stricte économie dans l’exécution des travaux dont la nécessité est démontrée. On est trop disposé à se représenter l’hygiène ne procédant qu’à coups de millions, et il est certain que les projets qu’on voit mettre en avant pour l’assainissement des grandes villes sont de nature à justifier cette opinion. Il n’y est question que d’opérations gigantesques, d’immenses aqueducs à construire, de réseaux d’égouts à creuser, de quartiers à démolir en entier, pour les remplacer par des maisons somptueuses régulièrement alignées, par des rues larges et bien percées. Tout cela est assurément très grandiose et l’hygiène ne peut qu’approuver ces belles choses, mais les municipalités ne les voient pas du même œil. Elles regardent le total, reculent devant le chiffre des dépenses et implorent le concours de l’état. Celui-ci, ne voulant décourager personne, répond par quelque fin de non-recevoir, par quelque promesse vague, et en reste là. Rien ne s’exécute, et la ville continue à vivre dans son infection et son incurie, jusqu’à ce qu’une nouvelle épidémie vienne de nouveau soulever la question et donner lieu à de nouveaux projets, destinés comme les premiers à rester à l’état de lettre morte. Cette marche pour ainsi dire fatale n’a pas seulement l’inconvénient d’amener des débats aussi longs que stériles ; elle aggrave la situation, en empêchant de faire l’indispensable. A quoi bon tenter une amélioration partielle lorsque les grands travaux sont à l’étude? A quoi bon entretenir ce qui va disparaître? Il faudrait renoncer à cette disposition si commune chez nous qui consiste à vouloir toujours arriver à l’idéal de la perfection, au lieu de se contenter d’une solution médiocre, mais immédiatement applicable. Tout le monde en France veut faire grand, ou ne rien faire du tout. C’est méconnaître à la fois les conseils de la sagesse et les traditions les plus respectables de l’hygiène ; car, lorsque Hercule entreprit de nettoyer les étables d’Augias, qui n’avaient pas été curées depuis trente ans, il se borna à les laver de son mieux, après y avoir amené les eaux du fleuve Alphée, et pourtant c’était un demi-dieu. Si cela se passait de nos jours, les ingénieurs, bien qu’ils n’aient aucune prétention à la divinité, ne se mettraient pas à l’œuvre pour si peu de chose. Ils voudraient placer partout des dalles de marbre et des râteliers de palissandre ; alors le roi d’Elide, ne trouvant pas, dans sa liste civile, les ressources nécessaires pour solder les frais d’un pareil projet, renoncerait à son exécution et laisserait ses chevaux et ses bœufs mourir sur leur fumier. C’est un peu ce qui se passe