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travaux entraînent. L’intervention de l’hygiène publique y est donc réduite à son dernier degré de simplicité et peut se résumer dans les précautions suivantes : se servir pour l’alimentation d’eau de source ou de fontaine, et, si l’on est forcé de recourir à celle d’un ruisseau, éviter d’y puiser en aval des lavoirs ou des fabriques qui y déversent leurs produits. Ne pas faire usage d’eaux stagnantes, telles que celles des étangs et des routoirs ; éloigner les fumiers de la cour des fermes, et surtout de la voie publique ; faire disparaître les mares, les cloaques infects qu’alimentent les liquides échappés des étables ; nettoyer les ruisseaux dans lesquels chaque habitant vient déverser ses immondices ; maintenir les chemins en bon état au voisinage des habitations ; veiller à la propreté des cours, des maisons et des étables, et y entretenir une aération convenable. Tout cela ne demande qu’un peu de soin, n’entraîne aucune dépense, et pourtant chacun sait combien ces précautions si élémentaires sont négligées dans la plupart de nos campagnes : cela tient à la routine, à la paresse, et surtout à l’ignorance qui les entretient toutes les deux. Cependant, bien que cette incurie cause de temps en temps des épidémies assez meurtrières, la santé des paysans est meilleure que celle des habitans des villes, et leur mortalité est moindre dans toutes les contrées de l’Europe. La différence varie du quinzième au quart, et est d’autant plus forte que la mortalité générale est moins élevée.

Les pays où l’écart est le plus grand sont les contrées du Nord de l’Europe, remarquables par leur salubrité. La France tient le milieu. La différence y est environ d’un cinquième ; mais elle est destinée à s’accentuer bien davantage. C’est, comme je l’ai dit, une affaire d’hygiène, et il est beaucoup plus facile d’arriver à convaincre les paysans de la nécessité de prendre quelques mesures de précaution pour sauvegarder leur santé, que d’accomplir l’œuvre difficile, lente et dispendieuse de l’assainissement des grandes villes. L’état n’a pas besoin d’intervenir pour cela. Il suffira qu’il continue à répandre l’instruction dans les campagnes, en multipliant les écoles et en obligeant les paysans à y envoyer leurs enfans. Lorsque ceux-ci arriveront à l’âge d’homme, ils comprendront l’importance du bien-être et de la propreté. Ils s’appliqueront à assainir et à embellir leurs habitations. Ils prendront peu à peu le goût du confortable. Connaissant mieux leurs intérêts et leurs droits, ils sauront les faire prévaloir par la voix de leurs mandataires, dans les conseils du pays. Les terres étant mieux cultivées, les fermes mieux tenues et les paysans plus heureux, il faut espérer que le mouvement d’émigration qui les entraîne vers les villes se ralentira peu à peu, et qu’un mouvement en sens inverse s’établira parmi les populations urbaines.