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du meurtre : Ils ont vu « les deux enfans... S’étreindre mutuellement de leurs bras d’albâtre innocens. Leurs lèvres étaient quatre roses sur la même tige qui, dans l’éclat de leur pleine beauté, se baisaient l’une l’autre. »

Nash, de même, intervient souvent de sa personne et coupe la parole à son page; mais ses jugemens fermes, caractéristiques, brefs sont très curieux pour l’histoire des mœurs et des lettres. Par exemple, lorsqu’il décrit la guerre des anabaptistes et l’exécution de Jean de Leyde, il résume ainsi en une phrase brusque l’opinion courante de son temps sur la secte déjà redoutable des puritains : « Voyez-vous ce que c’est que d’être des anabaptistes, des puritains, des coquins ; vous pouvez passer quelque temps pour des bouchers illuminés; votre fin sera toujours : Bonnes gens, priez pour moi! » A Wittenberg, Wilton voit jouer Acolastus, vieille pièce qui fut aussi populaire en Angleterre que sur le continent, et le jugement rigoureux de Nash sur les acteurs montre que l’on savait discerner à Londres entre les bons comédiens et les vulgaires histrions. Nash partageait l’opinion de Shakspeare sur les acteurs qui « surhérodaient Hérode » et il eût été de l’avis de Molière sur le jeu de l’hôtel de Bourgogne. « L’un des comédiens, dit-il, semblait travailler de ses jambes à la fabrication d’une aire en terre battue ; on eût cru qu’il voulait perdre de réputation le charpentier du théâtre tant il tapait fort sur les planches. Un autre remuait les bras comme on secoue une gaule dans un poirier, et nous avions une peur affreuse qu’il ne jetât bas les chandelles suspendues au-dessus de sa tête, nous laissant tous dans les ténèbres. » Ce jugement sévère peut nous rassurer sur la manière dont étaient interprétés à ce moment les grands drames anglais. Or, ils méritaient qu’on y prît quelque peine, car, à Londres, c’était le temps de Roméo et Juliette, du Songe d’une nuit d’été, de Richard III.

Enfin, Nash n’a pas seulement le mérite de savoir observer les ridicules de la nature humaine et de tracer, en pleine lumière, des portraits pittoresques, tantôt dignes de Téniers et tantôt de Callot; il a, chose bien rare, surtout chez un picaresque, la faculté d’être ému. Il semble avoir prévu l’immense champ d’études qui devait s’ouvrir plus tard au romancier. Ancêtre lointain de Fielding, comme Lyly et Sidney nous apparaissent en ancêtres lointains de Richardson, il comprend qu’un tableau de la vie active reproduisant uniquement, à la mode espagnole, des scènes de comédie, est incomplet et sort de la vérité. Les plus railleurs, les plus superbes, les plus aventureux ont leurs jours d’angoisses; aucun front n’est resté à jamais uni, du sortir du berceau à l’entrée dans la tombe, et nul n’a pu vivre en spectateur impassible sans qu’un