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Palerme. Il retrouve sa femme, et sa joie est si grande qu’il en étouffe et meurt : juste châtiment de sa confiance dans la botanique de Lyly.

L’histoire de Ménaphon n’est guère plus vraisemblable, mais elle se passe au pays d’Arcadie, ce qui prédispose à l’indulgence pour les écarts de raison ; de plus, elle renferme des touches de vraie poésie et on y trouve un peu moins de camomille, d’onys et de maceron. Tout le monde néanmoins parle, dans ce roman, avec une grâce et une politesse infinies. Le berger Ménaphon, se présentant à la princesse Séphestia et à son enfant jetés à la côte par un naufrage, leur dit : « Étrangers, votre rang m’est inconnu; pardonnez-moi donc si je vous salue en termes moins révérens que votre qualité ne mérite… » Et, tombant éperdûment amoureux de la belle jeune femme, qui se donne pour une nommée Saméla, de l’île de Chypre, il lui décrit avec chaleur et non sans grâce la vie pastorale qu’il voudrait mener avec elle : « Sache-le bien, charmante nymphe, ces plaines que tu vois s’étendre vers le sud sont des pâturages appartenant à Ménaphon ; la quintefeuille, la jacinthe, la primevère, la violette y poussent, et mes troupeaux les épargneront pour que je t’en fasse des guirlandes. Le fait de mes brebis sera la nourriture de ton gentil bambin ; la laine des gros béliers, aussi fine que la toison rapportée par Jason de Colchos, sera tissée en étoffes pour vêtir Saméla. Le sommet des montagnes verra tes promenades matinales et l’ombre des vallées abritera ton repos du soir ; tout ce que possède Ménaphon sera le bien de Saméla, si elle veut vivre avec Ménaphon. »

Le roman se poursuit, semé, comme les récits de Lodge, de chansons à refrains aux mètres variés et harmonieux d’un son charmant. Deux seigneurs, à la fin, Mélicerte et Pleusidippe, épris de la même femme que Ménaphon, se battent en duel ; on les sépare. Le roi du pays intervient, et, ne comprenant rien à ces amours embrouillées, il allait faire couper la tête à tout le monde quand on reconnaît que Mélicerte est le mari, longtemps perdu, de Séphestia ; l’autre duelliste est le petit enfant de la naufragée, lequel, au cours du roman, lui a été volé sur le rivage et a grandi secrètement. On s’embrasse ; et, quant à Ménaphon, dont l’amie se trouve ainsi pourvue d’un mari et d’un fils suffisamment passionnés, il revient à ses anciennes amours, Pesana, qui avait eu la patience de l’attendre, sans vieillir sans doute, car, dans ces romans, on ne vieillit pas. Pleusidippe a pu devenir homme sans que sa mère ait changé de visage ; elle est restée aussi belle qu’à la première page du roman, et, selon l’apparence, elle a toujours vingt ans.