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est le modèle des compagnons de voyage. Les deux amis sont enchantés du pays ; Philautus s’y marie et Euphuès, que son humeur sauvage empêche d’en faire autant, emporte dans sa patrie le souvenir d’une reine « plus belle que Vénus et plus chaste que Vesta » et d’une contrée « qui n’est pas inférieure au Paradis. »

Au point de vue spécial de l’histoire du roman anglais, Lylv, avec tous ses ridicules, eut encore un mérite dont il faut lui tenir compte. On sort avec lui des histoires épiques et chevaleresques pour approcher du roman de mœurs. Il n’est plus là question d’Arthur et de ses prodigieux compagnons, mais bien d’hommes contemporains, qui ne sont pas, malgré les colifichets oratoires, sans ressemblance avec la réalité. Des conversations sont rapportées où l’on retrouve le ton des gens bien nés de l’époque. Lyly prend soin d’être fort précis quant aux dates ; après avoir annoncé, à la fin de son premier volume, qu’Euphuès allait partir pour l’Angleterre, il avertit au début du deuxième, paru en 1580, que l’embarquement eut lieu le 1er  décembre 1579. Pour un peu, il ferait graver le portrait de son héros, comme on devait voir plus tard, en tête d’un livre destiné à faire quelque bruit dans le monde, l’image du « capitaine Lemuel Gulliver, de Redriff. » Sans doute, ses jugemens sur les hommes et sur la vie, ses analyses des sentimens sont bien mal fondus avec le récit et se ressentent de la gaucherie d’un premier essai ; mais il y eut toutefois du mérite à le tenter, et il n’est pas impossible de découvrir de loin en loin sous la croûte pédante quelque passage assez bien tourné, ayant même une sorte d’humour. C’est ainsi qu’il se dégage une assez bonne leçon de l’aventure de Philautus, qui, éperdument épris d’une jeune dame de Londres, va consulter un sorcier pour obtenir un breuvage propre à inspirer l’amour. C’était là une excellente occasion de parler des serpens et des crapauds, et le magicien n’y manque pas. Mais après une très longue énumération des os, des pierres et des foies d’animaux qui font aimer, l’alchimiste, pressé par Philautus, finit par avouer que la meilleure sorcellerie de toutes pour gagner les doux regards d’une femme, c’est d’être beau, spirituel et charmant.

Par ses défauts et par ses qualités, sa sagesse, sa bonne grâce et aussi son mauvais goût, Lyly ne pouvait manquer de plaire. Pendant dix ou douze ans, tout ce qui se piqua d’élégance parla son langage précieux et apprit dans ses livres la mythologie des plantes. Devenu le favori des dames, bien vu à la cour, il composa, toujours à l’intention de ses protectrices, des drames mythologiques ou historiques dont la représentation était confiée à des enfans et avait lieu en présence de la reine. Les esprits sages avaient-beau gronder, il trouva toujours des femmes pour l’applaudir. Vainement Nash se moquait, douze ans après l’apparition d’Euphuès, de l’enthousiasme